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proche, un long ennui, nous préférons garder de lui cette image confuse et faussée que de la confronter avec les textes.

Le moment est venu, ou jamais, d’écouter le dieu lui-même plutôt que les bavardages de ses hiérophantes et de ses sacristains. J’ai donc relu Faust, que je n’avais pas ouvert depuis plus de trente ans. Je l’ai lu comme un livre qui vient de paraître, y cherchant un intérêt tout actuel, et je n’ai pas été déçu. Eternelle jeunesse des chefs-d’œuvre : celui-ci m’a semblé écrit d’hier. Cela vient sans doute aussi de ce que ces livres, si riches de substance et si en avance sur leur temps, ont besoin de longues années pour manifester tout leur contenu et trouver enfin leur vrai public. C’est peut-être aujourd’hui seulement que le poème de Goethe est arrivé à maturité complète dans les esprits et que, dans l’ordre des faits, il développe ses ultimes conséquences.

Je l’ai lu enfin, — je n’essaie pas de le dissimuler, — avec les yeux et les préoccupations d’un Français de 1915. En face de l’Allemand, quel qu’il soit, nous sommes tous, à cette heure, sur le pied de guerre. Cela ne nous empêche point d’être justes envers notre ennemi. Pour l’instant, ce n’est pas son génie en lui-même que nous avons à considérer, c’est ce par quoi ce génie nous menace dans notre pensée, dans notre âme, dans notre être le plus intime. Si je lis Faust, aujourd’hui, c’est l’Allemand, c’est-à-dire l’ennemi de ma race, qui m’y intéressera par-dessus tout. Et ainsi, j’ai été amené à y chercher les origines du germanisme, tel que les armées du Kaiser nous le traduisent, en ce moment, à coups de canon.


Il n’y a nul paradoxe dans cette recherche. Le poète lui-même nous y convie. Avant que le rideau se lève sur son drame, dès le prologue, il nous dit sans ambages où il se propose de nous mener : en enfer. Mais peut-il deviner si longtemps d’avance que cet enfer, c’est celui du germanisme ?

Voici, en effet, le leit-motiv de cet immense poème symphonique formulé en une phrase d’une netteté lapidaire : « Parcourez, dit le poète aux spectateurs de son théâtre idéal, parcourez, dans cette étroite maison de planches, le cercle entier de la création, et, dans votre essor rapide et calculé, allez du ciel, par le monde, à l’enfer. » Ainsi, nous sommes avertis dès