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encore davantage ! — En vérité, cela sent la débâcle, et personne ne croira qu’il n’y a pas là l’aveu angoissé d’un grand et imminent péril.

L’empereur d’Autriche s’est-il résigné ? A-t-il consenti ? Il semble bien que non, car l’Italie devient de plus ou plus menaçante, elle continue ses armemens, elle est à la veille de prendre une attitude décidément hostile. Que se passe-t-il donc ? Deux hypothèses sont en présence, et nous ne saurions dire quelle est la vraie. Les uns croient que l’Italie juge insuffisante la cession du Trentin, même avec une rectification de frontière jusqu’à l’Isonzo, et qu’elle demande encore Trieste, Pola, l’Istrie, la Dalmatie, enfin la réalisation de toutes ses « aspirations » sur l’Adriatique. D’autres se bornent à dire qu’elle a demandé à occuper immédiatement des territoires qu’on ne lui promet qu’après la guerre. L’Italie se défie, et elle a bien raison. Un traité pareil ne vaut qu’aussi longtemps que durent les circonstances qui l’ont rendu inévitable et la force qui l’a imposé. Supposé même qu’on lui donne tout ce qu’elle revendique, son intérêt sera plus que jamais que l’Allemagne et l’Autriche soient vaincues ; sinon, ce serait pour elles une pensée obsédante de reprendre ce qu’elles auraient donné le couteau sur la gorge. Et, si l’Italie estime que l’Allemagne et l’Autriche seront vaincues, son intérêt n’est-il pas de se mettre tout de suite du côté des vainqueurs ? Toutes ces hypothèses se pressent dans son esprit éminemment, nous dirons même, dans cet ordre de choses, exclusivement politique. Quelle sera sa conclusion ? Et quelle sera celle de l’Allemagne et de l’Autriche ? Ces dernières, sous le poids de la nécessité, feront-elles une concession de plus ? L’Italie s’en contentera-t-elle ? Qui pourrait le dire ? Il faudrait, pour le faire, sonder des cœurs insondables : la tâche est au-dessus de nos forces.

Il n’est pas beaucoup plus facile de prévoir ce que feront demain la Roumanie, la Bulgarie et la Grèce. On connaît la résolution qu’a prise cette dernière, mais elle n’est peut-être que provisoire : on la donne comme telle à Athènes. De ce bloc des quatre Puissances neutres, si une se détache, il y a des chances pour que les autres suivent le mouvement. L’affaire des Dardanelles aura sûrement une influence sur leur détermination, mais il n’est pas sûr qu’elle s’exerce sur chacune d’elles dans le même sens. Nous avons dit plus haut que mieux valait ne pas parler en ce moment des projets qui s’élaborent sur Constantinople et sur les détroits ; mais le bruit de ceux qu’on a attribués à la Russie en est venu jusqu’à Bucarest et il y a produit une impression réfrigérante. Elle s’effacera peut-être, elle existe encore aujourd’hui. Dans ces conditions, et la Grèce s’abstenant