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resteront-ils pas fermés pour lui comme pour nous ? il y a dans l’histoire, ainsi que dans mer, des profondeurs inexplorées et inexplorables. Quand M. de Bülow est parti pour Rome, il aurait été bien téméraire de vouloir prédire s’il réussirait ou s’il ne réussirait pas. Il est habile et entreprenant, mais sa tâche était bien difficile, et l’Italie, qui est réaliste, ne s’abandonne qu’à bon escient. Pendant la première partie de son séjour à Rome, il semble bien que M. de Bülow ait cherché à influencer surtout l’opinion par l’intermédiaire des journaux, ce qui est un procédé classique ; mais les journaux italiens qui ont de l’influence la doivent à ce qu’ils ont une opinion, et toutes les grâces du monde ne les en feraient pas changer. A un certain moment, le prince de Bülow s’est rendu compte qu’il perdait son temps, et alors il a changé de manière : ce changement a à peu près concordé avec l’annonce de l’expédition des Dardanelles.

Le prince de Bülow a jugé l’heure venue de sortir des coquetteries préalables et de faire des offres réelles. Nous ignorons celles qu’il a faites ; nous savons seulement, sans que personne nous l’ait dit et en quelque sorte a priori, que ce sont des offres du bien d’autrui. Au surplus, il ne pouvait pas offrir celui de l’Allemagne, car l’Italie n’en a que faire : cette épreuve lui a donc été épargnée. On admet généralement qu’il a offert le Trentin et une rectification de la frontière du Frioul jusqu’à l’Isonzo : nous ne nous en portons pas garant, mais le fait est vraisemblable. C’est un grand coupable que l’empereur d’Autriche, bien que, même dans le crime, il n’ait été qu’un brillant second ; aussi n’avons-nous pas assez de pitié disponible pour le plaindre, mais le malheureux vieillard a dû singulièrement souffrir lorsque, après être parti en guerre pour anéantir la Serbie, conquérir des territoires nouveaux en compensation de ceux qu’il a déjà perdus dans sa longue vie, imposer son hégémonie aux Balkans, il a vu venir son allié et que celui-ci lui a demandé… quoi ? de céder une province, peut-être deux, à l’Italie, à cette même Italie qui, au commencement de son règne tragique et funeste, lui a pris successivement la Lombardie et la Vénétie et l’a rejeté au Nord des Alpes. — Eh quoi ! a-t-il dû demander, nous sommes donc vaincus ? — Ce raisonnement est irréfutable, et l’empereur Guillaume a dû éprouver beaucoup de peine à faire comprendre à son vieil ami qu’il n’en était rien, mais qu’il fallait céder tout de même. Et le reste du monde n’aura pas moins de peine que l’empereur François-Joseph à le comprendre et à l’admettre. On croit entendre l’Allemand crier : — Nous tombons ; jetez, jetez du lest, jetez-en