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permis d’en être quelque peu effrayé et de se demander si la paix de l’avenir en sera mieux assurée. Assez de questions redoutables étaient déjà posées en Occident, et voilà que l’Orient à l’Occident s’allie pour fournir un surcroit de besogne à la diplomatie. Elle n’en aura jamais eu davantage. Un de ses augures nous disait, il y a quelques jours, que la paix ferait couler autant d’encre que la guerre faisait couler de sang. Nous souhaitons qu’elle ne fasse couler que de l’encre. Un autre souhait que nous nous permettons de former est qu’on attende, pour parler des conditions de la paix, que la guerre soit finie et qu’on en connaisse enfin les résultats définitifs. Tout le monde n’a pas cette sagesse : on commence déjà dans la presse à découper l’Europe et l’Asie, à détruire des empires et des royaumes, enfin à en former d’autres suivant des conceptions qui diffèrent quelquefois beaucoup les unes des autres et menacent de porter atteinte à l’union jusqu’ici parfaite des esprits et des cœurs. Que les gouvernemens, avant de s’engager dans une entreprise nouvelle, en prévoient les conséquences et se mettent d’accord avec leurs amis et alliés sur la manière de les envisager, rien de mieux, rien de plus conforme à la prudence la plus élémentaire ; les gouvernemens encourraient une grande responsabilité, s’ils ne le faisaient pas. Mais ce rôle n’est pas, en ce moment du moins, celui de l’opinion, qui a besoin avant tout de calme et de concorde et pourrait perdre ces biens précieux au milieu des discussions qu’engendreraient inévitablement des divergences de vues sur tant d’intérêts divers. Chaque chose doit venir à son heure ; l’heure présente est celle de l’action et non pas de la délibération publique ; action et délibération ne marchent pas toujours d’accord et la seconde peut nuire beaucoup à la première.

Aussi n’avons-nous pas vu sans quelque inquiétude des hommes trop impatiens demander, par exemple, ce qu’on ferait demain de Constantinople et des détroits, ou plutôt l’annoncer sur le ton dogmatique qui est celui des oracles. Il y aurait beaucoup à dire sur ces questions délicates, mais le mieux est sûrement de n’en rien faire, ou d’attendre pour le faire que le cycle de la guerre soit complètement parcouru. Les questions n’en deviendront peut-être pas plus faciles, mais la part que chacun aura prise aux événemens pèsera d’un poids important dans les solutions à intervenir, et cette part est encore inconnue. Les États neutres qui ont des intérêts engagés dans les événemens en cours annoncent tous la ferme volonté d’en prendre la défense… quand le moment sera venu ; mais comme ce moment n’est encore venu pour aucun, puisqu’ils continuent de s’abstenir tout