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l’investir hermétiquement. Ces 100 000 hommes de troupes aguerries deviennent aujourd’hui disponibles. Quelles se portent sur les Carpathes ou sur Cracovie, leur action ne saurait manquer de se faire sentir. Personne ne croira qu’on ne s’en préoccupe ni à Pest, ni à Vienne, ni même à Breslau. Qui sait si la Hongrie ne sera pas bientôt envahie et la Silésie un peu plus tard ? En attendant, l’armée russe a poussé au Nord une pointe hardie jusqu’à Memel, où, à la vérité, elle ne s’est pas maintenue : il semble bien que ce soit une simple reconnaissance qu’elle ait voulu faire. Quoi qu’il en soit, elle a remis le pied sur le territoire allemand, d’où le maréchal de Hindenburg croyait l’avoir chassée pour toujours. De nouvelles perspectives s’ouvrent de tous côtés devant elle. Pour être juste, il faut reconnaître que le général de Kurmanek, défenseur de Przemysl, a rempli tout son devoir ; il a poussé la résistance aussi loin qu’il était possible de le faire et n’a rendu la ville que lorsqu’il a été acculé à la famine. À ce moment même, il a tenté un dernier assaut qui a été repoussé. La garnison était exténuée. Tout ce que l’honneur militaire exigeait avait été fait : la place a dû se rendre. Sa capitulation avait été si souvent annoncée comme prochaine qu’on commençait, non pas à n’y plus croire, mais à y penser moins. Le dénouement inévitable s’est enfin produit : il en facilitera quelques autres.

L’expédition des Dardanelles finira de même. Mais ici encore, comme à Przemysl, comme ailleurs, l’opération sera plus longue que l’imagination populaire ne l’avait prévu. Dès qu’il en a été question, nous n’en avons pas dissimulé les obstacles. La tâche entreprise n’est assurément pas au-dessus des forces combinées de l’Angleterre, de la France et de la Russie : mais quand même ces forces seraient plus grandes encore, le concours du temps est nécessaire pour qu’elles produisent tout leur effet. On ne force pas les Dardanelles par un coup de main audacieux. La nature a tout fait pour rendre la situation formidable et l’art y a ajouté des défenses nouvelles. Depuis qu’ils sont les maîtres à Constantinople, les Allemands n’ont rien négligé pour cela. Aussi ne croyons-nous pas et personne n’a cru qu’on pouvait forcer le passage des Dardanelles seulement avec des vaisseaux et des canons : des troupes de débarquement y sont indispensables. Elles l’auraient été de tout temps ; elles le sont peut-être plus aujourd’hui qu’autrefois. Autrefois, en effet, il aurait peut-être suffi de détruire les forts où la résistance était concentrée ; mais la guerre actuelle a introduit de grands changemens dans la défense des positions militaires, et ce n’est plus