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ferme qu’aujourd’hui. Mais il y en a d’autres. Nos regards ne peuvent pas se limiter, se borner à la ligne de guerre, si étendue qu’elle soit, qui va de Dunkerque à Belfort : ils embrassent aussi l’œuvre considérable que nos alliés les Russes viennent de mettre en si bonne voie et celle qu’avec les Anglais et eux, nous avons entreprise dans les Dardanelles et sur Constantinople. De tous ces côtés, nous avons les plus sérieuses raisons d’espérer.

La guerre a présenté des alternatives diverses dans la Prusse orientale et en Pologne. Nos alliés russes ont eu à lutter contre le meilleur général allemand, qui disposait contre eux d’un réseau de chemins de fer d’où il tirait de grands avantages. Ils ont éprouvé quelques échecs, mais ces échecs n’ont jamais été décisifs et n’ont pas tardé à être réparés. Le maréchal de Hindenburg n’est pas plus allé à Varsovie que ses collègues occidentaux ne sont allés à Paris ou à Calais. Au moment où il a pu se croire le plus près de la saisir, sa proie lui a toujours échappé. Bien qu’ils ne disposent pas des mêmes moyens de locomotion rapide, les Russes ont déjoué les projets de l’adversaire. Enfin, en Galicie, la nouvelle de la prise de Przemysl est venue changer la face des choses. On s’est trompé plus d’une fois sur l’importance des victoires ou des défaites dans cette guerre pleine de surprises ; un jour, tout semblait compromis, le lendemain, tout était réparé, le surlendemain, des faits analogues se présentaient en sens inverse. L’expérience nous a rendu réservé dans nos jugemens. Il semble bien pourtant que la prise de Przemysl soit un événement militaire d’une gravité exceptionnelle et que les conséquences en seront considérables. Przemysl, située entre Lemberg et Cracovie, est une place de guerre de premier ordre. Une armée qui, au moment de la reddition de la place était encore de 117 000 hommes, commandée par 8 généraux et 2 600 officiers, y avait été assiégée. Elle aurait été vraisemblablement plus utile en rase campagne que dans les murs de Przemysl ; mais elle était là une menace que l’armée russe ne pouvait pas négliger. Il aurait été dangereux de s’engager dans les Karpathes en laissant derrière soi une place forte contenant une armée aussi nombreuse. La marche sur Cracovie en était ralentie, sinon suspendue. La presse austro-hongroise affecte aujourd’hui d’attacher peu de valeur à la chute de Przemysl : c’est nier l’évidence que d’en méconnaître l’importance. Sans doute la longue résistance de Przemysl n’avait pas arrêté les mouvemens de l’armée russe, soit vers le Sud, soit vers l’Ouest : il n’en avait pas moins fallu laisser une centaine de mille hommes pour continuer le siège de la ville et