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dans ce livre qui est charmant et beau chaque fois que l’auteur se contente de peindre avec justesse la nature et les gens, le contraste des paysages paisibles et des malheureuses créatures. La vie errante que mène François Rémy, de village en village, sur les routes, à la lisière des forêts, à l’extrémité des faubourgs et, le plus généralement, au point où les dernières maisons des villes confinent à la campagne, cette vie de misère et de nonchalance contemplative, c’est, pour M. Glesener, l’occasion perpétuelle de peindre à sa guise et de peindre à merveille les tableaux que son talent préfère… Une nuit, comme il n’y a plus du tout d’argent à la roulotte et que Louise, la maîtresse de François Rémy, se meurt dans la pauvreté, François Rémy décide d’aller jusqu’à Liège trouver un ancien camarade, un savetier, qui lui prêtera cinq ou dix francs. Il part ; il a quatre lieues à faire, dans l’obscurité, puis au petit jour. Dans l’obscurité d’abord, il marche longtemps, agité d’inquiétudes. Il allonge le pas. La route se rapproche de la Meuse : et il entend le bruit de la rivière. Ensuite, un rayon de lune brille sur l’eau ; « une colline fuyait à gauche, s’inclinant ici sous la clarté des étoiles, pour se soulever plus loin et boucher l’horizon. » El François arrive à Jemeppe ; il trébuche de fatigue : « des usines faisaient, sur l’autre rive, des renflemens de ténèbres, où des feux creusaient des trous incandescens ; les flammes des hauts fourneaux secouaient sur le ciel une rougeur moirée. » Le vacarme des enclumes, des machines, les cahots des wagons sur les plaques de tôle l’étourdissent : « des portes charretières lui montraient, par leurs battans entr’ouverts, des nappes de lumière électrique dormant sur des tas d’escarbilles, au fond d’immenses chantiers… » Et le matin s’éveille : « une lueur courut au faîte des toits, des coqs chantèrent… » Des mineurs passent, l’échine ployée, tout noirs, avec les yeux qui brillent « dans la pâleur, de l’aube, pareils à des globes d’argent. » Et enfin, quand il parvient, à Liège, « le jour règne, blanc et joyeux : des marchands enlèvent les volets de leurs devantures ; des servantes lavent les seuils… » Le voici dans l’échoppe de son ancien camarade : « Il entra. Le cordonnier, assis au fond de la boutique, se leva paresseusement et, ayant balayé avec la main les déchets de cuir accrochés à son tablier, vint appuyer ses deux poings sur le comptoir, devant François, qu’il ne regarda pas. Il considéra pendant une minute, par-dessus le rideau de serge verte qui fermait la vitrine, un groupe de gamins jouant aux billes en face de chez lui ; puis, étonné du silence de son client, il tourna la tête, écarquilla les yeux, eut un geste de surprise et un cri : —