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dans le droit. La licence autorisée par la raison de guerre est, dit-il, licite dans deux cas : lorsqu’on se trouve dans une extrême nécessité et en cas de rétorsion. Laissons de côté la rétorsion. Le général le plus juste et le plus humain peut être contraint, par les excès de son ennemi, à user de représailles et à suspendre ouvertement et consciemment les garanties que donne le droit de la guerre. C’est rendre le mal pour le mal, pratique délicate, dangereuse, mais qui n’en est pas moins la seule forme de justice répressive possible entre adversaires sur le champ de bataille.

L’excuse de nécessité est beaucoup plus intéressante.

Lueder prétend la fonder sur le droit de légitime défense. De même qu’un particulier inopinément attaqué peut recourir à tous moyens pour se préserver et ôte impunément alors la vie à son agresseur, de même et à plus forte raison lorsque la nécessité d’atteindre le but de la guerre ou de se soustraire à un danger imminent le commande, le général peut se mettre au-dessus des lois de la guerre et faire ce qui lui plaît. On objecterait vainement à Lueder qu’une armée n’est jamais comme un individu dans l’alternative de supprimer son adversaire ou de périr ; que, pour une armée en campagne, il s’agit de vaincre, de briser la résistance de l’ennemi, que cela implique toute une série de manœuvres et d’attaques, que le succès ne dépend pas exclusivement d’un seul coup porté à un certain moment, que l’opinion de l’univers civilisé n’a jamais pensé que les nécessités de la guerre fussent incompatibles avec la manifestation d’une certaine humanité. Cela se comprend partout, sauf en Allemagne.

Lueder s’empresse d’ajouter que le recours à la Kriegsraison ne devra se produire que dans les cas d’extrême nécessité et ainsi ne préjudiciera pas sensiblement à l’autorité du droit de la guerre, de la Kriegsmanier. Est-ce bien sûr ? A la guerre, la nécessité n’est-elle pas la loi de tous les instans, et qui jugera de l’extrémité où il se trouve si ce n’est le général, porté naturellement et par fonction à écarter les obstacles qui s’opposent à la plénitude de son action ?

Cela explique bien des choses qui, sans cela, seraient vraiment dépourvues de toute explication.

Il importe à la guerre de limiter les sacrifices que l’on consent, et si l’on espère arrêter le feu de l’ennemi et réussir