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d’une lourde responsabilité. Elles l’ont les guerres moins atroces, elles font aussi la paix plus franche et plus sûre, car on ne pardonne pas à un ennemi dépourvu d’humanité ou d’honneur.

Ce sont ces maximes et quelques autres encore de moindre importance qui constituent le droit de la guerre et servent de limites à la liberté des combattans, de même que dans chaque État les prescriptions du droit civil ou du droit criminel servent de limites à la liberté des citoyens.

La science allemande reconnaît parfaitement l’existence d’un droit de la guerre. Elle aurait pu la nier en prenant exemple sur le célèbre Grotius, excellent homme et grand savant s’il en fut, à qui son respect pour l’antiquité ne permettait pas de penser qu’il puisse exister un droit entre peuples belligérans. Grotius écrivait à l’époque de la guerre de Trente Ans, et les idées se sont grandement modifiées depuis lors. Du reste, ce jurisconsulte se gardait bien, comme nous le verrons bientôt, de recommander l’observation des principes absolus qu’il se croyait obligé de poser.

Donc, la science allemande ne conteste nullement l’existence d’un droit de la guerre. Disons plus. Aucune des considérations sur lesquelles ce droit trouve sa base ne lui échappe. Les auteurs allemands reconnaissent bien que la raison prohibe toute violence qui excéderait le but poursuivi par la guerre et ne contribuerait pas à faire acquérir au belligérant la supériorité par rapport à son ennemi ; ils ne nient pas davantage que la guerre doive être conduite avec humanité. Cependant déjà, sur ces premiers points, on s’étonne de constater chez eux des tendances singulièrement inquiétantes.

Consultons Lueder. Parmi les auteurs modernes, il a été le représentant le plus éminent de la science allemande dans ce domaine (Holtzendorff, Handbuch des Völkerrechts, IV, § 53). Lueder, après avoir admis que, dans la mesure où le but poursuivi par la guerre n’en sera pas compromis, on peut faire une place à l’humanité, pose et laisse indécise la question de savoir si la véritable humanité ne consiste pas exclusivement à assurer à la guerre la fin la plus rapide et si les moyens même les plus aveugles et les plus terribles ne sont pas aussi les plus humains lorsqu’ils peuvent contribuer à assurer cet effet. Tout autre principe lui paraît condamné à rester dans le domaine de