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l’était mieux, on se serait moins étonné de voir les intellectuels les plus réputés parmi nos ennemis prendre hautement la défense de pratiques guerrières réprouvées depuis des siècles et qui suscitent contre leurs auteurs une légitime indignation.

C’est cette doctrine dont nous voulons reproduire ici les traits les plus généraux.

Mais d’abord, qu’est-ce que le droit de la guerre, et que peut-on comprendre sous ce vocable un peu prétentieux ?

Si l’on se rapporte aux usages suivis par les peuples civilisés, guide plus sûr que les opinions des auteurs, plus sûr également que ces traités qui paraissent n’avoir été conclus que pour être déchirés dès le lendemain, le droit de la guerre apparaît comme étant fort peu de chose. Fort peu de chose sans doute, mais quelque chose cependant, car certaines règles existent que l’on considère, ou au moins que l’on considérait jusqu’ici, comme rigoureusement obligatoires et auxquelles les généraux se gardaient bien de manquer. On admet ainsi que les non-combattans seront épargnés toutes les fois où cela est matériellement possible, que leur honneur doit demeurer sauf, que leurs biens eux-mêmes leur seront laissés dans la mesure au moins où ils ne seront pas nécessaires à l’entretien de l’armée ennemie qui occupe leur territoire. D’après une coutume qui remonte aux Romains, le blessé cesse d’être un ennemi et on tient pour un criminel et pour un lâche le soldat qui lui donne la mort. Les troupes qui se rendent sont simplement désarmées et retenues comme prisonnières. On se doit une loyauté absolue entre ennemis et une ruse devient illicite et déshonorante lorsqu’elle implique un manque de parole. La guerre doit s’abstenir de toute dévastation inutile, et l’on convient de respecter dans le feu de l’action ces monumens et ces trésors qui constituent le patrimoine intellectuel et moral de l’humanité.

Nous ne prétendons pas faire ici une énumération limitative. Ces règles que nous avons choisies parmi les plus certaines et les plus grosses représentent les revendications extrêmes de la raison, de la conscience et de l’humanité aux époques où les nations, emportées par la loi tragique de leur destinée, demandent aux armes la solution de leurs différends. En dehors d’elles, la violence reprend son libre cours, mais encore ces règles existent, elles sont avouées, suivies, et l’honneur militaire veut que l’on ne puisse s’en écarter sans déchoir et sans se charger