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devoir d’être prête à toutes les éventualités. Elle était, suivant lui, pacifique de nature et elle l’avait bien prouvé. Le chancelier passait sous silence les incidens qu’il avait fait naitre lui-même et qui auraient pu amener plusieurs fois, depuis 1875, une nouvelle lutte entre l’Allemagne et la France. Il rappelait le passé avec un ton modéré, disant que l’Empereur s’était vu forcé de faire deux grandes guerres, mais comme conséquence historique des siècles précédens. Nul ne pouvait contester que la guerre de France n’avait été que le complément des combats par lesquels devaient être assurés le rétablissement de l’unité allemande et la vie nationale des Allemands. On n’était donc pas fondé à en induire pour l’Allemagne des velléités belliqueuses. La politique impériale avait manifesté nettement son action pacifique dans les seize dernières années. Mais le gouvernement français ne pouvait empêcher ses concitoyens de rêver à une revanche possible.

« Entre nous et la France, disait Bismarck, l’œuvre de paix est difficile, parce qu’il y a depuis bien longtemps un procès historique qui divise les deux pays ; c’est le tracé de frontière, — lequel est devenu douteux et litigieux depuis l’époque où la France eut acquis sa complète unité et sa puissance royale, — une monarchie compacte.

« La mise en question de la frontière allemande a commencé, — si nous voulons la considérer purement dans la connexité historique, pragmatique, — lorsque la France s’est emparée des Trois-Évêchés : Metz, Toul et Verdun. C’est un fait oublié, et je ne le rappelle qu’à cause de la connexité historique. Nous n’avons point l’intention de reconquérir Toul ni Verdun ; nous possédons Metz. Mais, depuis lors, il ne s’est guère succédé en Allemagne de génération qui n’ait été forcée de tirer l’épée contre la France. Et cette période de combat pour la frontière avec la nation française est-elle aujourd’hui définitivement close, ou ne l’est-elle pas ? C’est ce que vous ne pouvez savoir, pas plus que moi. Je ne puis qu’exprimer ma propre conjecture : qu’elle n’est pas close ; il faudrait pour cela que tout le caractère français et toute la situation de frontière fussent changés.

« Nous avons tout fait de notre côté pour amener les Français à oublier le passé. La France a eu notre appui et notre aide dans tout ce qu’elle désirait, sauf pour ce qui pouvait viser