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obtenir 2 107 075 voix, presque le tiers des votans. Aussi Bismarck, devaut un essor qui lui causait déjà de grandes inquiétudes, avait-il eu un moment l’idée de faire machine arrière et de réformer le système électoral du Reichstag, c’est-à-dire de supprimer le suffrage universel. Il considérait que ce système avait été la plus lourde faute de sa vie et il en parla à Guillaume Ier qui refusa de le suivre dans cette régression, car l’Empereur, qui n’avait pas oublié l’attentat de Nobiling, redoutait qu’un coup d’Etat ne déchaînât une révolution et ne compromit la monarchie.

En matière d’administration, Bismarck fit beaucoup pour son pays. Il assura le relèvement de la métallurgie par des tarifs protecteurs et la prospérité de l’industrie sucrière. Tout en se défendant de créer des colonies à tort et à travers, il appuya les grandes Compagnies de commerce et de navigation et augmenta les lignes postales maritimes. Il favorisa le développement des progrès économiques et obtint à cet égard des résultats considérables. Préoccupé en même temps des périls possibles d’une coalition anti-allemande, il détermina l’alliance de l’Allemagne et de l’Autriche qui, par l’adhésion ultérieure de l’Italie, devint la Triple-Alliance. Ce n’est pas qu’il la considérât comme une force intangible, car il reconnaissait lui-même que si l’Italie, — ce qui devait arriver, — menaçait un jour les possessions autrichiennes de l’Adriatique, l’Allemagne ne pourrait plus compter sur elle. Les meilleurs traités n’étaient-ils pas toujours à la merci du hasard ?… Bismarck le savait mieux que personne. Mais c’était déjà quelque chose d’assurer le présent. On devait, tout en s’entourant d’alliances logiques, ménager des adversaires possibles tels que l’Angleterre, la Russie et même la France. Le traité secret de réassurance, signé en 1884 à Skierniewicz entre la Russie et l’Allemagne, était une preuve nouvelle de l’habileté du chancelier, qui voulait et savait se précautionner contre toutes les éventualités. Le même homme qui avait tant froissé la Russie au Congrès de Berlin, disait que l’Allemagne pouvait sauvegarder ses intérêts sans provoquer les susceptibilités russes et il invitait ses successeurs à pratiquer une politique de ménagemens à cet égard. « Il est infâme, insensé et impie, disait-il, de couper par dépit personnel le pont qui nous permet de nous rapprocher de la Russie ! » Il s’imaginait qu’ayant lui-même oublié ses griefs