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arrêter Bismarck en plein succès. Randon les offrait, Drouyn de Lhuys les voulait, Metternich suppliait d’agir. On se contenta de demander à la Prusse un « pourboire » qu’elle refusa. Cependant Bismarck empêche l’état-major prussien d’abuser de sa victoire et obtient pour l’Autriche des concessions telles qu’elle pourra reprendre avec la Prusse, qui vient de la battre, des rapports presque cordiaux. Le ministre triomphe des désirs ardens de conquêtes émis par son maitre et par l’état-major, et il prévoit que, grâce à sa propre sagesse, dans peu d’années l’unité allemande deviendra une réalité.


Je n’ai pas à redire les origines de la guerre de 1870, ni à retracer les responsabilités de ses auteurs. Je les résumerai en quelques lignes.

Sadowa a consacré la toute-puissance de Bismarck. Non seulement la Prusse, mais l’Allemagne, mais l’Europe entière, le saluent comme un maitre, et, pendant ce temps, la France prend la route qui mène à l’abîme. L’affaire du Luxembourg dénote notre impuissance ; l’Exposition de 1867 ne révèle que des apparences séduisantes ; l’entrevue de Salzbourg se passe en tentatives infructueuses, et alors surgit la candidature Hohenzollern, habilement préparée par Bismarck. Il l’avait ourdie au printemps même de 1868, et il fait semblant de l’ignorer en 1870 ; il rejette la responsabilité sur Prim et sur la famille Hohenzollern ; il décline toute action directe de la Prusse, et quand l’affaire prend corps, se noue, devient périlleuse et mortelle, il profite de la faiblesse et de l’incapacité de ses adversaires pour les amener tête baissée dans le traquenard tendu par ses mains. Il falsifie la dépêche d’Ems et il fait croire à une Europe ignorante que la France a été la provocatrice de la guerre. Il publie le projet dicté par lui, mais écrit par Benedetti en 1866, au sujet de l’annexion de la Belgique par la France ; il s’en sert pour irriter l’Angleterre contre nous et amener la formation de la Ligue des neutres ; puis, nous surprenant sans alliances et profitant de fautes militaires impardonnables, ainsi que de la défection.du commandant en chef de l’armée du Rhin, enfermé volontairement à Metz, il vient à bout de notre malheureux pays qui, malgré une défense héroïque, est réduit à céder deux provinces et cinq milliards et