Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/661

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Augustenbourg, l’héritier du droit de ses prédécesseurs et que la Prusse saura défendre les intérêts allemands dans les duchés. Il repousse les critiques de la Diète de Francfort qui blâme l’incorporation du Slesvig au Danemark, où elle aperçoit la violation de l’autonomie provinciale des duchés. Il le fait avec tant d’énergie qu’on l’accuse d’avoir dit que le droit ne repose que sur les baïonnettes. « Quand il n’y a pas de tribunal compétent, réplique-t-il, c’est par les baïonnettes seules que le droit peut se faire valoir ! » On lui oppose des traités, notamment celui de Londres. « Si on voulait, dit-il, leur appliquer le critérium de la morale et de la justice, il faudrait les abolir à peu près tous. » Il ne déclare pas encore que ce sont « des chiffons de papier, » mais plus tard il écrira en propres termes, et ses successeurs s’en souviendront : « L’observation des traités entre les grands États n’est que conditionnelle, dès que la lutte pour la vie la met à l’épreuve. — Il n’est pas de grande nation qui consente jamais à sacrifier son existence à la foi des traités, si elle est mise en demeure de choisir. — Le proverbe Ultra nemo posse obligatur ne peut jamais perdre ses droits par la clause d’un traité. — Il est de même impossible de fixer par contrat la mesure de l’intervention et les forces exigibles pour l’exécution d’un traité, dès que l’exécuteur ne trouve plus son intérêt dans le texte qu’il a signé, ni dans l’interprétation première de ce texte. — L’instabilité des intérêts politiques et les dangers qu’ils portent en eux sont la doublure dont il est indispensable de munir les contrats écrits, s’ils doivent durer. » Je pourrais citer d’autres aphorismes audacieux du même genre qui montreraient quel peu de souci Bismarck avait, à l’occasion, de la valeur des traités ; mais je crois que les citations qu’on vient de lire suffisent à prouver ce qu’il pensait d’une promesse ou d’une signature officielle. On invoquait un jour devant lui l’opinion publique. Il se mit à rire, puis il ajouta : « Vous devez savoir que mon respect pour l’opinion publique n’a jamais été bien grand ! »

On sait la suite : il voulut et il eut la libre disposition des duchés ; il amena l’Autriche à se jeter avec la Prusse sur le Danemark, ce petit pays honnête et brave, dont le traité de Londres avait garanti l’intégrité, — prélude de ce qui devait se passer en 1914 au sujet de la Belgique. On viola le principe des nationalités, on viola le droit, la justice, les sermens, et on