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« Je suis fier, dit-il, de parler une langue prussienne et vous l’entendrez souvent encore dans ma bouche !… » On menace de le renverser ; il sourit : « Que peut la majorité contre moi ? Sur combien de points est-elle d’accord avec elle-même ? Et comment pourrait-elle constituer un ministère qui ait la confiance absolue du Roi ?… » Il se sent d’ailleurs appuyé par la Chambre des Seigneurs, et il clôt d’office la session parlementaire pour avoir trois mois de répit. Conscient de sa mission, il prépare les moyens d’écarter l’Autriche de Allemagne et de lui enlever toute autorité sur les Etals allemands, destinés à devenir les vassaux de la Prusse.

Lors de l’insurrection de la Pologne, en 1863, il affirme que le but des insurgés est de restaurer l’ancien royaume, et il jure qu’il saura défendre à tout prix contre eux les intérêts de l’Etat prussien et la sécurité publique. Il tiendra toute sa vie ce serment énergique et cette conduite impitoyable. Le président le rappelle aux convenances, parce que son discours a dépassé les bornes, et Bismarck répond, avec insolence, qu’il parle en vertu, non pas du règlement, mais de l’autorité conférée par le Roi. Son coup de maître sera la convention Alvensleben, signée avec la Russie, le 8 février 1863, qui lui donnera, non seulement contre la Pologne, mais contre la France, un appui utile. C’était porter une première atteinte à l’entente franco-russe et défier l’Angleterre, qui ne pouvait opposer à un tel acte qu’un blâme impuissant. On doit reconnaître ici que la convention Alvensleben a été le prélude habile des succès de 1864, de 1866 et de 1870. « L’œil, comme Bismarck l’a dit au député de Hœnig, doit savoir diriger le poing. »

Tout en maintenant une politique autoritaire, il prétend parfois ménager les formes et, à ceux qui voudraient le pousser à abuser de sa force, il fait remarquer qu’il ne peut pourtant pas dire à ses agens diplomatiques, lorsqu’ils négocient à l’étranger : « Je suis l’homme qui a deux cent mille soldats derrière lui… Ce n’est pas ainsi, ajoute-t-il, que se font les affaires. » Il a cependant agi de cette façon plus d’une fois, et ses successeurs ont abusé, à leur tour, de la manière forte.

En cette même année 1863, le dernier roi de la lignée danoise, Frédéric VII, vient à mourir et alors se rouvre l’affaire délicate du Slesvig-Holstein. Bismarck déclare aussitôt qu’il voit dans le roi Christian IX, et non dans le prince