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plus terrible, et cela par la folle imprudence de son chef, il me parait important de résumer rapidement la carrière du grand homme d’Etat que l’Allemagne regrette si amèrement, et de tirer de ce résumé d’utiles leçons.

Otto-Edouard-Léopold de Bismarck naissait à Schönhausen le jour même où Napoléon, de retour de l’île d’Elbe, recevait une adresse pompeuse de l’Institut et les vœux de nombreux courtisans. Il était le quatrième enfant de Charles-Guillaume-Ferdinand de Bismarck chef d’escadron, marié à Louise-Wilhelmine Mencken, fille du professeur de philosophie connu et estimé à Leipzig. Les Bismarck prétendent être les descendans d’un chef de tribu slave qui résidait, au Moyen Age sur les rives de l’Elbe. Certains historiens allemands affirment au contraire que le premier porteur de ce nom était un tailleur du XIVe siècle. Ce qui est sûr, c’est que cette famille comptait parmi les Junker ou hobereaux les plus réactionnaires de l’Allemagne et que son plus célèbre descendant, malgré tout son génie, en a gardé l’esprit amer et les rancunes étroites.

Rappelant la date de sa naissance, Bismarck aimait à redire que, deux mois et demi plus tard, le feld-maréchal Blücher, qui incarnait l’âme implacable de la Prusse, avait vengé la défaite de Fleurus sous Ligny.en contribuant avec les Anglais au désastre de Waterloo. Mais cela ne suffisait pas à son ressentiment contre les Français, car tout jeune encore et déjà imbu des doctrines des guerres d’indépendance, il avouait que, jetant ses regards sur la carte d’Europe, « il enrageait de ce que la France eût gardé Strasbourg… J’avais été à Heidelberg, disait-il ; j’avais visité Spire et le Palatinat, et ces souvenirs attisaient en moi la haine de la France et me rendaient belliqueux. » On peut conclure, en passant, de cette observation, que, si la France avait conservé les ruines faites par les Prussiens en 1870, celles de Saint-Cloud, par exemple, et si elle les avait exploitées à la façon des Prussiens à Heidelberg, elle aurait maintenu plus chauds encore les sentimens de juste revanche que d’excellens patriotes entretenaient par la parole et par la plume.

C’est à l’institution du docteur Plamann, le réformateur des forces physiques de la nation prussienne par l’enseignement intensif de la gymnastique et des sports variés, que le jeune Bismarck conçut un vif sentiment de nationalisme allemand