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aimé en être l’épouvantail. Quel dommage ! La nature lui avoit tout prodigué, jusqu’à l’art de plaire et de subjuguer les cœurs. Qu’en a-t-il fait, hélas ! que de les employer à dépouiller, à faire gémir son plus parfait ouvrage ; et pour une puissance exagérée et momentanée se mettre en butte à la défiance, à la jalousie, et à la haine du reste de l’Europe, sans faire rien de solide pour sa maison ? »

S’il faut racler enfin quelques éclaboussures de pinceau : « Votre héros et le mien, dit à M. de Catt « une personne très respectable, » notre héros qui brave le ciel et l’enfer, les temps et l’éternité, est sujet aux impressions que fait pendant le sommeil un sang plus ou moins agité. » — « Je lui ai toujours trouvé, déclare un autre témoin, non l’esprit décidément faux, mais du faux dans l’esprit. J’en avois cette idée avant qu’il montât sur le trône, et vingt ans de règne ne m’en ont pas désabusé. » — « Un ensemble rare de grands talens, de vices consommés et de vertus apparentes, des succès éclatans et des disgrâces imméritées, » dit un troisième. Le dernier prononce cette sentence définitive : « Il sut vouloir. »

Il resterait à dire un mot des opuscules attribués au roi de Prusse lui-même, et qui par conséquent pourraient figurer dans notre galerie, avec l’étiquette : Portrait de l’auteur. Malgré la déclaration solennelle de l’éditeur : « On trouvera la preuve que cet ouvrage est véritablement de Frédéric le Grand dans la Honte and Foreign Review, n° III, » le texte des Matinées royales ou de l’Art de régner, publié pour la première fois à Londres en 1863 « d’après la copie faite à Sans-Souci l’an 1806, par M. le baron de Méneval, secrétaire du portefeuille de Napoléon, » n’a pour moi qu’un caractère d’authenticité très insuffisant. Mais, comme les Dernières pensées du roi de Prusse, écrites de sa main, et venues en d’autres mains dans des circonstances ainsi relatées : « Ce petit manuscrit a été vendu par un hussard à un étranger qui était à Potsdam, pendant le temps de la mort du Roi ; cet étranger a lu ce manuscrit à ses amis, il l’a prêté, et il lui en a été pris copie », c’est un apocryphe de ce genre qui est, si je l’ose dire, plus vrai que de l’authentique, car il a fallu s’appliquer à la faire très vraisemblable pour lui donner de l’autorité. Il n’est donc pas téméraire de leur emprunter par-ci par-là de quoi remonter un peu notre couleur.

« Si nous nous souvenons que nous sommes chrétiens, dit