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horreurs que l’on m’a dites, et je ne sais où diable il peut prendre ses expressions plus infernales les unes que les autres. » M. de Catt s’ingénie à le consoler : « Ah ! monsieur, reprend le colonel, que vous connaissez encore peu le Père Prieur ! Il ne revient jamais de ses idées, surtout quand, en revenant, il s’agirait de montrer le défaut de la cuirasse ; lui revenir, lui revenir, qu’une chose a été manquée par sa faute (sic) ! Le canon avancerait plutôt que de reculer quand on le tire ; non, monsieur, vous ne le connaissez pas, et fasse le ciel que vous ne le connaissiez jamais par votre expérience : on rendra mille services à cet homme, a-t-on le malheur de manquer un instant, dans des choses surtout où il s’imagine qu’on donne atteinte à son amour-propre, voilà pour jamais les mille services au diable. Eh ! que d’exemples bien tristes je pourrais vous citer de ce que je vous dis, monsieur, mais il faut partir, j’en ai reçu l’ordre, et vraisemblablement pour ne reparaître jamais ; conservez moi votre souvenir. »

Le capitaine de Marwitz, aide de camp du Roi, n’est pas plus rassurant : « Monsieur, pour le moindre tort que vous pourriez avoir avec lui, il vous éloignera après trente ans de services, et même sans aucun tort de votre part ; il sera assez dur pour vous éloigner, lorsqu’il sentira qu’il devrait récompenser toute la gêne dans laquelle vous aurez passé vos plus belles années : voilà l’homme, monsieur, tel qu’il est. »

Et j’ai retrouvé encore ces deux croquis (Frédéric le Grand).

« Le feu Roi disait de Frédéric : « Il a bien de l’esprit, mais s’il en avoit un brin de plus, il faudroit l’enfermer. Vous allez voir que, quand je serai mort, Berlin sera inondé de fols et d’esprits forts, de ces gens qui se promènent dans les rues, tels que ma mère et ma grand’mère les aimoient ; il séduira tout le monde et fera enrager ses voisins. » Il est certain que le Roi se perd souvent dans le sublime. »

« Bien des gens pensent que le feu Roi se trompoit et que Frédéric n’a pas l’esprit aussi brillant qu’on l’a cru. C’est ce que nous ne déciderons pas. Bien est-il vrai toujours qu’il en a dix fois plus que le commun des Rois et vingt fois plus qu’il n’en faut pour régner. Sa partie brillante est le militaire, dont il est capable de tirer tout le parti possible. Expéditif, saisissant ce qu’on veut lui dire au premier mot, ne prenant ni ne voulant de conseil, ne souffrant jamais de répliques ni de