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Roi se dit épouvanté des misères de la guerre : « Que de braves gens je perds, mon ami, et que je déteste ce métier auquel m’a condamné l’aveugle hasard de ma naissance ! » Frédéric s’y résigne pourtant, et s’en acquitte en maître, parce que c’est son métier, et que, lorsqu’on est d’un métier, il faut le faire : « Tout prince qui est dans le cas de faire la guerre et qui n’en partage pas le péril ne mérite pas qu’on s’intéresse à son sort : c’est un opprobre ineffaçable dont il se couvre. »

Mais la gloire elle-même, à l’entendre, ne console pas le Roi de l’affreux spectacle auquel il assiste : « Ah ! du diable, la belle gloire ! Des villages brûlés, des villes en cendres, des millions d’hommes infortunés, autant de massacrés, des horreurs de toute part, finir enfin soi-même ; n’en parlons plus, les cheveux me dressent à la tête ! »

Il fait bien, — de temps en temps, — s’il n’a rien à y perdre, ce qu’il peut pour adoucir les rigueurs du fléau. A Troppau, il rassure les bourgeois qui craignent le pillage : « Ah ! mon cher, il faudrait être bien barbare pour vexer sans raison de pauvres diables qui n’entrent, au fond, pour rien, dans nos illustres démêlés. » Une autre fois : « Si parfois nous pillons et brûlons, c’est qu’on nous y force. »

Comme philosophe, Frédéric ne cesse pas d’exécrer la guerre, surtout quand elle est malheureuse pour ses armes ; de pester contre les maraudeurs, surtout quand ce sont ses sujets qui sont dépouillés ; de menacer et de maudire les espions, surtout quand ce sont ses mouvemens qu’ils observent. Les cosaques ont passé au château de Tamsel, en août 1758 : « Voyez, mon cher, dit-il à Catt, dans quel état ces canailles ont mis ces meubles des bons Wreech ; comme ils ont brisé ces meubles et tout ce qu’ils n’ont pu emporter ; ce qu’ils ont fait ici, ces barbares l’ont fait de même chez la plupart des paysans ; avez-vous vu cette morte devant le jardin, tout cela ne fait-il pas dresser les cheveux de la tête ? Est-ce là faire la guerre ? Les princes qui se servent de telles troupes ne devraient-ils pas rougir de honte ? Ils sont coupables et responsables devant Dieu de toutes les horreurs qu’ils commettent. »

Il y revient quelques jours après : « Je n’ai rien pu avoir aujourd’hui de mes barbares (les Russes) que beaucoup de leurs malades et de leur piètre bagage. N’avez-vous pas été édifié de la manière dont ils ont abîmé ce pauvre village ? Ces canailles,