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machiavélisme, et voilà donc Machiavel et l’Anti-Machiavel réconciliés. Maintenant que le Roi sait ce qu’il fait, il ne veut plus être mené ; pour ne pas l’être, il ne se livre plus. Et il s’en vante, peut-être trop. Catt risque une remarque qui n’est pas sans finesse : « Je crois… qu’il est d’autant plus facile de mener un prince, glisse le docile secrétaire, qu’il prétend que cela est très difficile ou impossible ; avec cette forte prétention, on n’est pas souvent sur ses gardes, et l’on est pris par où on ne s’imaginait pas pouvoir l’être. » Frédéric est surpris agréablement : « Votre réflexion n’est pas mal, réplique-t-il, mais ce que vous dites n’arrive qu’à des sots qui ne savent pas être sur les gardes et y être sans le faire apercevoir ; au reste, n’allez pas vous imaginer qu’avec mon plan fixé de ne me laisser jamais mener, je me refuse aux bons conseils qu’on me donne : non, j’écoute ce qu’on me représente ; si cela est mieux que ce que j’avais imaginé, je l’avoue naturellement et je fais sentir que c’est aux bonnes raisons qu’on me donne et que je discute, et non à la personne, que je rends les armes. Concludo que ni Catt, s’il en avait envie, ni qui que ce soit ne me mènera, et que lui et moi devons nous aller coucher : demain en marche, non en voiture, mais en écuyer qui va chercher les grandes aventures. »

Un faux semblant très prononcé chez Frédéric II, et qui tient au fond même de son personnage public, est de « poser à l’homme qui exècre la guerre, » de jouer l’homme qui n’aspire qu’à la paix des champs : c’est le mal particulier et spécifique du siècle, le faux semblant de la « sensibilité. » Il vit au milieu des camps, il vient de parcourir un champ de bataille :

« Tout cet attirail n’est-il pas affreux, ne l’est-il pas ? Qu’il faille tant de peine pour élever un homme, et qu’on mette tant de choses en œuvre pour le détruire ; cela fait crier vengeance. Barbares, faites la paix ; mais les barbares ne m’écoutent point, hélas ! Ce ne sera pas l’esprit d’humanité qui nous la fera faire, cette paix, à tous tant que nous sommes, Impériaux, Russes, Français, ce sera le manque d’argent, on s’égorgera jusqu’à l’extinction de ce vil métal. »

A Potsdam ! à Potsdam ! S’il savait le latin, que l’entêtement de son père l’a empêché d’apprendre, Frédéric répéterait : Hoc erat in votis :

« Eh ! mon ami, si je puis sortir un jour de tout cet