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grenadier ; mais je veux vous lire une lettre que je reçus hier soir de La Haye, d’un homme de conséquence. »

Lecture de la lettre tout au long et longue dissertation, le pauvre Guichard étant toujours dans la position du fantassin avec les armes et le fourniment complet : « Enfin, après trois quarts d’heure d’une séance si pénible à tant d’égards pour le capitaine, Sa Majesté fut à lui et ôta elle-même tout l’attirail dont il l’avait chargé. — « Eh bien ! monsieur, trouvez-vous que la charge de mes soldats est passable, croyez-vous qu’elle approche de celle d’un soldat romain ? — Je le crois, répondit-il d’un air triste et rêveur, qui me fit une peine infinie. — A présent, nous allons faire, monsieur, de grandes marches. J’espère que vous conviendrez qu’elles seront aussi fortes que celles que les Romains ont faites et que vous verrez des opérations dont ils n’avaient et ne pouvaient avoir une idée. — Adieu, monsieur, soyez un peu Prussien, et vous aurez lieu d’être content de moi. »

« Ma séance finie, ajoute cette bonne âme d’Henri de Catt, je me rendis chez moi, où je trouvai M. le capitaine Guiehard, qui m’attendait pour me parler de ce qui venait de lui arriver. « Le Roi ne vous a-t-il rien dit ? — Rien, mais il m’a paru triste de l’épreuve à laquelle il vous a soumis. — Lui triste ? croyez-moi, il n’est susceptible ni de tristesse, ni d’humanité, je le dégrade de son titre de philosophe. Le Salomon de l’Orient ne se serait pas conduit ainsi, il faut être un Salomon du Nord pour voir de sang-froid un honnête homme souffrir, comme je l’ai fait ; ses soldats ne valent pas les soldats de l’ancienne Rome. — Pensez cela, mais ne (le) lui dites jamais plus, craignez une nouvelle expérience. — Tibère ne m’aurait pas tenu ainsi une heure en faction ! »

Mais écoutons Frédéric à travers la transcription de M. de Catt, et dans ces libres entretiens, — libres du moins pour lui, — continuons à relever les traces de machiavélisme. N’en est-ce pas, de sa part, de dire : « L’étude dans laquelle je suis le moins versé est la politique, c’est une étude de tromperie peu faite pour mon caractère. » — En voici sûrement, et du meilleur (nous ne le jugeons pas en morale), de l’extrait de César Borgia : « Je cache mes vues souvent à ceux qui m’entourent, je les trompe même, parce qu’en les soupçonnant, ils pourraient en parler sans en voir les conséquences, et j’en souffrirais,