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Comme particulier, c’est un homme extraordinaire. Ses goûts, ses talens, sa façon de vivre, offrent cent traits curieux, plaisans, instructifs. Un historien est à son aise. Il peut louer, blâmer, admirer, plaisanter, et ne jamais être infidèle à la vérité. »

Le physique est expédié en trois lignes. « De la taille de cinq pieds deux pouces ; assez proportionné ; pas trop bien fait ; quelque chose de gauche qui provient d’un maintien gêné ; » puis : « La figure tour à tour dure et agréable, mais toujours spirituelle. De la plus exacte politesse ; le son de voix le plus gracieux, même en jurant, ce qui lui est aussi familier qu’à un grenadier ; parlant plus correctement le français que l’allemand, et ne parlant jamais celui-ci qu’à ceux qu’il sçait ne pas comprendre l’autre. »

Grâce à ce document, ou à ces renseignemens, reprenons ici et repassons point par point le crayon de Macaulay. Frédéric II a « l’amour du travail, » qui est une vertu, je dis une partie, un élément de la vertu, de la virtù, machiavélique. « Il se lève à cinq heures, travaille, ou, pour mieux dire, est seul jusqu’à six heures trois quarts. Il s’habille à sept. On lui remet alors lettres, placets, mémoires, et puis les lettres qui lui sont directement adressées. Il les décachete lorsqu’il n’en connaît pas l’écriture. Ses gens d’affaires entrent à neuf heures, car il n’a point de ministres. » Non seulement, comme Louis XIV, Frédéric est à lui-même son premier ministre, en réalité il est son seul ministre. Il n’a ni Mazarin, ni Colbert, ni Louvois, ni Torcy. Rien qu’un commis logé au second étage, dans la maison de ce personnage équivoque, Fredersdorff, l’ancien soldat de la prison de Custrin, devenu à la fois, d’après Voltaire, « valet de chambre et favori, » lequel commis arrivait chaque matin dans le cabinet du Roi, « par un escalier dérobé, avec une grosse liasse de papiers sous le bras. » Les secrétaires d’État envoyaient toutes leurs dépêches au commis du Roi. Il en apportait l’extrait : le Roi faisait mettre les réponses à la marge en deux mots. Toutes les affaires du royaume s’expédiaient ainsi en une heure. Rarement les secrétaires d’Etat, les ministres en charge, l’abordaient : il y en a même à qui il n’a jamais parlé. Raison et tort, avantage et inconvénient : « La plupart des vices de l’administration de Frédéric, note à ce propos Macaulay, peuvent se résumer en un seul, la passion de se