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obtenir d’eux tout ce que nous voulions savoir. Assurément, et surtout au début de la campagne, quelques officiers hobereaux ont montré une morgue qui faisait un contraste ridicule avec les réalités de leur situation. Certains aussi, refusant dès l’abord de répondre, ont fait preuve de dignité. Mais c’est l’exception. D’ordinaire, ils parlent ; même les officiers de réserve ne se croient pas tenus au secret : comme si, débarrassés de leur fonction, ils étaient délivrés du même coup des obligations morales qu’elle comporte.

C’est ici, précisément, que se trahit encore l’absence d’un principe supérieur qui les soutienne. Ils allaient comme une force inconsciente, en vertu de l’impulsion reçue ; ils n’avaient pas pris la peine de soumettre à l’épreuve de la réflexion intérieure les mobiles qui les dirigeaient, sûrs de leur valeur, puisqu’ils étaient Allemands. La critique, l’angoisse du doute, la nécessité de refuser ou d’accorder une adhésion personnelle même aux vérités que l’autorité et la tradition donnent comme certaines, n’ont jamais ébranlé leur âme, mais ne l’ont pas non plus trempée. Leur courage ne va pas jusqu’à la vertu personnelle, capable de prolonger l’effort collectif parce qu’elle l’a d’abord fondé. Réglés en tout, disciplinés, ils sont incapables d’improviser quoi que ce soit, fut-ce le devoir. Hors du dogme de l’orgueil, ils n’ont plus rien. Ils sont pris : ils parlent.

Les soldats à plus forte raison, dans la mesure où ils sont au courant de leurs propres opérations. Quand on a dissipé leur terreur première ; quand on leur a affirmé qu’ils seraient conduits dans une ville de l’intérieur, où on les traitera bien, jusqu’à la fin de la guerre : alors ils pourront regagner leurs foyers ; quand ils voient que nous les traitons sans cruauté, et que nos soldats partagent avec eux leur pain : ils semblent revenir à la vie. Finies les batailles, finies les privations ; ils mangeront à leur faim ; ils ne souffriront plus du froid ; leur tranquillité est assurée, presque leur bien-être, par comparaison. Ils sont heureux comme des naufragés échappés à la mer, et ils parlent. Ils disent à leur façon la bataille, et ouvrent des yeux effarés, en rappelant les journées passées sous le feu de notre artillerie, tandis que leurs régimens semblaient fondre-La guerre ? Mais personne ne la voulait. « Nous savons bien que les Français ne voulaient pas la guerre ; mais les Allemands ne la voulaient pas non plus. » Ils sont convaincus que