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cette supériorité sans discussion, pour la raison qu’elles l’ont établie. Tout leur effort est de dominer, non pas au nom du droit, mais au seul nom de la puissance allemande. Seulement, à force de vouloir être allemandes, elles se sont exclues de l’humanité.

Ceci n’est pas une formule. J’entends encore ce jeune Prussien de dix-huit ans, engagé pour la guerre, qui a quitté pour les champs de bataille le lycée où il terminait ses humanités. Il vient d’être fait prisonnier, après s’être courageusement battu. On lui a reproché, à lui qui peut comprendre, les actes de barbarie commis par ses compatriotes. Il a soutenu leur cause, et a voulu trouver à toutes les accusations des réponses. Il continue à se défendre, maintenant qu’il est seul avec moi dans l’automobile qui l’emmène vers l’arrière. Le pittoresque du spectacle, — les sentinelles qui nous arrêtent de leur fanal, un régiment de dragons qui flous croise dans l’ombre, les cantonnemens entrevus, tout le mystérieux d’une nuit pleine de rumeurs guerrières, — rien ne distrait sa pensée et ne.calme son émotion. Il parle de la violation de la neutralité de la Belgique. « Du point de vue humain, je ne dis pas que nous ayons eu raison. Mais du point de vue allemand, nous devions le faire… »


Les voici devant nous, ces guerriers. La campagne est finie pour eux ; ils sont prisonniers, et désarmés. Leur patrouille s’est avancée trop près de nos lignes ; ou bien leur tranchée a été conquise par les nôtres ; quelques-uns se sont rendus spontanément. Il y en a de toutes les régions ; ceux-ci ont l’accent de Bavière, et ceux-là de Saxe. Il y en a de vieux et de jeunes ; beaucoup de très jeunes, avec je ne sais quoi de puéril encore dans l’expression du visage. Race qui apparaît moins vigoureuse qu’on n’aurait cru d’abord, à mesure que les réserves viennent boucher les vides ; la boutique et l’usine ont arrondi les épaules et voûté la poitrine. On rencontre quelques types solides, massifs ; on n’en rencontre guère qui soient beaux.

Le drap gris, de leurs vêtemens est déchiré par places : les fils de fer des tranchées, quelquefois l’éraflure des balles, ont emporté les lambeaux. Leurs bottes sont boueuses ; leurs mains sont hâlées et tannées ; leur barbe est inculte ; leur visage porte