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moment, en 1913, considérer comme acceptable la proportion de deux à trois (the two-to-three standard) mise en avant par son collègue anglais, M. Winston Churchill, pour la force à donner à la flotte allemande en unités offensives de la classe des Dreadnoughts comparée à celle de la flotte anglaise, il a fait la sourde oreille à la suggestion de suspendre de commun accord dans les deux pays, pendant une année de repos (a naval holyday), les nouvelles constructions. La limitation des armemens maritimes, ce rêve aujourd’hui évanoui des contribuables britanniques, est venue se heurter à l’opposition hautaine de l’amiral allemand, comme à a un mur de granit.

Personne plus que lui en Allemagne ne se déclarait l’admirateur enthousiaste des marins anglais. Il les proclamait ses maîtres et ses modèles. Mais, sous le masque de l’admiration, il dissimulait, en bon Allemand, la volonté opiniâtre de les vaincre et de les dépouiller un jour de leur supériorité intolérable. La flotte qu’il rassemblait était bien une arme offensive, un instrument préparé avec un soin minutieux pour faire une blessure mortelle. Les hostilités, toutefois, ont éclaté plus tôt qu’il ne l’avait prévu et désiré, lorsqu’il n’était pas encore prêt pour l’attaque.

Quelques années de plus, et Tirpitz aurait surpris sans doute son adversaire par une guerre toute différente de celle à quoi il s’attendait, une guerre aérienne, une guerre traîtresse et sous-marine, qui aurait compensé l’infériorité du nombre. Le blocus de l’Angleterre, qu’il tente d’exécuter aujourd’hui avec un matériel insuffisant, nous donne la mesure de son audace, comme aussi de son manque absolu de scrupules humanitaires. Qu’aurait été le résultat d’une pareille lutte sous la surface de l’Océan, si l’effort allemand avait été servi par une préparation patiente et méthodique ?

Mais, l’Angleterre domptée, l’Allemagne aurait été entraînée à d’autres guerres navales. Pour asseoir sa puissance mondiale, elle aurait dû abattre encore d’autres rivalités. Il lui aurait fallu détruire la flotte des États-Unis, afin de les enfermer dans l’Amérique du Nord et de ne laisser ouverts qu’à son commerce les marchés de l’Amérique latine. Aurait-elle consenti alors à abandonner aux Japonais la domination du Pacifique, à être gênée ou dépossédée par eux en Extrême-Orient ? Que de conflits en perspective pour l’activité infatigable