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en chantier en juillet 1907, lancés en 1908, étaient complètement terminés en trois ans et demi. Pour les trois suivans, la rapidité de leur construction a été encore plus grande : un délai de deux ans a suffi. Le budget de la Marine, qui s’élevait à 125 millions de marks en 1898, a atteint 467 millions en 1913. Après chacun de ses succès parlementaires, les décorations et les honneurs prodigués à l’heureux amiral lui apportaient des témoignages éclatans de la reconnaissance du souverain.

Le prince de Bülow signale dans son livre la difficulté qu’il y avait à poursuivre l’exécution d’un pareil programme, sans provoquer une rupture avec l’Angleterre. Le moment le plus critique survint en 1908. Il avait été établi, chiffres en mains, au Parlement britannique que l’Allemagne, en vertu de sa dernière loi navale, posséderait à la fin de 1916 trente-six vaisseaux du type Dreadnought, ce qui forcerait l’Angleterre à en construire quarante-quatre dans la même période. En 1911, la première en aurait treize et la seconde seulement douze. La menace allemande contre la suprématie sur mer de l’Angleterre suscitait de sérieuses alarmes dans ce pays. L’Empereur crut alors opérer une manœuvre très habile en adressant à lord Tweedmouth, premier lord de l’Amirauté, une lettre personnelle d’un caractère à la fois privé et politique, dans laquelle il insistait sur le côté purement défensif du programme allemand et s’efforçait de détruire les appréhensions manifestées en Angleterre au sujet du développement de la flotte impériale. Mais le trait manqua le but. En se mêlant lui-même à la discussion, en s’efforçant d’écarter des yeux des marins anglais le fantôme du danger allemand, Guillaume II, dès que son intervention insolite fut connue grâce à une divulgation du Times (mars 1908), ne réussit qu’à exciter davantage le sentiment public qui poussa le Parlement à accélérer les constructions navales en réponse au défi germanique.

Forcés d’entrer ainsi dans une ère de dépenses maritimes excessives, — l’ère des Dreadnoughts, — au moment où ils auraient voulu consacrer tous les excédens disponibles à des réformes sociales, les membres du Cabinet Asquith ont vainement essayé d’enrayer cette concurrence effrénée. Leurs discours publics et leurs démarches privées n’ont pas fait dévier un seul instant l’amiral de Tirpitz de la ligne inflexible qu’il s’était tracée pour l’exécution de son programme. S’il a paru un