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brusquée de la France, était achevé depuis longtemps et dormait dans les cartons secrets de l’hôtel du Kœnigsplatz. Il est même possible que la marche sur Paris, exécutée à travers les plaines centrales de la Belgique et la vallée de la Meuse, afin de tourner les défenses de la frontière française, ait été tracée de la main vieillissante, mais toujours assurée, du maréchal de Moltke. On y retrouve les mouvemens de large envergure qu’il affectionnait et comme son empreinte personnelle. Mais les mesures d’exécution et l’idée de l’ultimatum adressé en pleine paix à un pays neutre doivent être imputées à son neveu. Je suis fondé à le croire, d’après les dernières paroles que m’a dites le 5 août M. Zimmermann : « Tout le pouvoir, depuis la mobilisation, est entre les mains de l’autorité militaire. Toutes les décisions sont prises par elle. » C’était rejeter implicitement sur l’état-major et sur son chef la responsabilité de l’invasion de la Belgique.

L’état-major général et l’enseignement donné à l’Ecole de Guerre étaient restés fidèles à la stratégie à laquelle avaient été dues les victoires passées : amener le plus rapidement possible des forces supérieures sur un point donné, briser ainsi la ligne de défense de l’ennemi, ou bien déborder et envelopper une de ses ailes de façon à venir à bout de sa résistance par une attaque de flanc. Une pareille manière d’opérer suppose naturellement l’offensive. Aux yeux de Moltke, comme au jugement de Napoléon, l’offensive comptait pour moitié dans le gain d’une bataille. Ces principes s’accordaient avec les traditions de l’ancienne armée prussienne, comme aussi avec les qualités inculquées au soldat prussien ou prussianisé, et enfin avec la prompte mobilisation de l’armée impériale. Les victoires décisives qui avaient conduit les Bulgares en quinze jours presque aux portes de Constantinople attestaient une fois de plus, prétendait-on en Allemagne, l’excellence de ces méthodes. Le roi de Grèce, ajoutait-on, n’a-t-il pas publiquement rendu hommage à l’enseignement puisé par lui à l’Ecole de Guerre de Berlin, lorsqu’il a reçu comme un bon élève, des mains de l’Empereur, le bâton de feld-maréchal allemand ?

La campagne de Mandchourie avait été, il est vrai, un avertissement, signalé par des écrivains militaires, qu’une révolution se préparait dans l’art de la guerre. Elle avait révélé une stratégie et une tactique nouvelles, employées par les Russes et