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se lèvera comme un seul homme pour relever le gant que le peuple français aura eu la folle audace de lui jeter. » Le général s’est abstenu d’ajouter, tant la remarque eut été banale, que la guerre de 1870, avec ses armées restreintes, n’était qu’un jeu d’enfans à côté de celle que l’Allemagne s’apprêterait à faire. Ce qu’il a tu également, c’est le caractère de férocité que les généraux allemands auraient ordre de lui imprimer.

On connaissait pourtant à l’étranger, tout au moins dans le monde des juristes familiers avec l’œuvre des Conférences de La Haye, l’existence en Allemagne d’un manuel des « Lois de la guerre sur terre, » Kriegsgebrauch im Landskriege, publié en 1902 à Berlin par l’état-major. On savait qu’il était écrit dans un esprit hostile à celui qui a inspiré les travaux des deux Conférences. On n’ignorait pas que ce code spécial de guerre à l’usage des officiers allemands condamnait les considérations humanitaires, les ménagemens relatifs aux personnes et aux biens, comme contraires à la nature et au but de la guerre ; qu’il autorisait tous les moyens d’atteindre ce but et qu’il en laissait le choix et l’emploi à l’arbitraire absolu des chefs de corps. Mais, quelque inquiétude que les jurisconsultes du droit des gens aient pu concevoir au sujet de la diffusion en Allemagne de pareilles doctrines, ils étaient rassurés, quant à leur application, par l’adhésion solennelle que le gouvernement impérial avait donnée à la Convention de La Haye de 1907 et aux prescriptions morales qui y sont édictées. Aussi est-ce avec un sentiment de surprise et d’horreur, partagé par tout le monde civilisé, qu’ils ont assisté à la guerre pratiquée au nom de l’Empereur allemand.

Cette guerre n’a connu, en effet, aucune pitié. Elle a produit, à peine déchainée, le plus de mal possible pour frapper les populations d’épouvante et réduire plus vite l’ennemi terrorisé. Les Allemands, en 1870, avaient trop épargné l’habitant, trop respecté les monumens historiques, trop ménagé les propriétés privées. Le meurtre, l’incendie et le pillage ont marché sur les talons de leurs fils, les envahisseurs de 1914. On a vu à Louvain, à Tamines, à Réthy, et dans tant d’autres villes et villages de la Belgique, on a vu à Orchies, en France, des escouades de soldats, recrutées à l’avance dans le corps des pionniers, détruire en quelques heures, à l’aide d’engins et de matières incendiaires, les innocentes petites cités condamnées