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Pour ce qui est de la moralité de ce personnage, le plus important du monde militaire, quelques lignes d’un rapport de M. Jules Cambon du 6 mai 1913 suffiront à en donner une idée ; « Il faut laisser de côté, a dit le général de Moltke dans un milieu allemand, les lieux communs sur la responsabilité de l’agresseur. Il faut prévenir notre principal adversaire dès qu’il y aura neuf chances sur dix d’avoir la guerre et la commencer sans attendre pour écraser brutalement toute résistance. » Ce n’est même plus l’attaque brusquée que recommandait le général, c’est la surprise avant la déclaration d’hostilités, comme si, dans un duel, on frappait son adversaire avant qu’il ait pu se mettre en garde. La violation soudaine de la neutralité de la Belgique, après une nuit de réflexion laissée à son gouvernement, était un de ces coups de spadassin enseignés par le chef de l’état-major.

Pendant l’été de 1913, le général de Heeringen, peu populaire au Parlement, avait quitté la direction du ministère de la Guerre. Son successeur, le lieutenant général de Falkenhayn, était un des plus jeunes de l’Annuaire. Qui aurait prédit un pareil avancement à cet officier, lorsque, perdu de dettes et menacé d’être exclu de l’armée, il devait s’estimer heureux d’être attaché au corps expéditionnaire de Chine ? Sa bonne étoile et son intelligence lui firent gagner l’appui du maréchal de Waldersee, commandant de l’expédition. Ses dettes payées, Falkenhayn rentra en grâce auprès de l’Empereur, Une figure fine, des yeux vifs mais inquiétans, une grande facilité de parole, qui sut faire écouter par le Reichstag, dans la discussion de l’affaire de Saverne, l’apologie des excès commis par les officiers, étaient les traits les plus saillans de ce nouveau venu dans le monde politique de Berlin. Son ambition insatiable n’a éclaté que pendant la guerre, en même temps que sa rivalité avec le général de Moltke, qui le dominait de haut à son entrée en fonctions.

Le soir du 6 novembre 1913, au diner offert à Potsdam au roi Albert, le chef de l’état-major avait dit à l’attaché militaire de Belgique : « La guerre avec la France est inévitable dans peu de temps, et la victoire de l’armée allemande ne fait pas de doute, dut-elle être achetée par d’énormes sacrifices et par quelques échecs préliminaires. Rien ne résistera au furor teutonicus, une fois qu’il sera déchaîné. La nation germanique