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qui leur est si nécessaire. Sur ces entrefaites, une crise extérieure s’est produite avec une gravité et une intensité dont personne n’a oublié le souvenir. Les Balkans ont pris feu ; la Grèce, la Bulgarie, la Serbie ont déclaré la guerre à la Turquie et, à la surprise générale, l’ont battue sur tous les champs de bataille. M. Venizelos n’a pas été inférieur aux circonstances. Il a uni dans une juste mesure la fermeté, l’énergie, l’esprit de conciliation, et la Grèce est sortie de l’épreuve plus grande et plus forte que ses meilleurs amis n’avaient osé l’espérer. Elle a conquis l’Épire, Janina, Salonique ; elle a obtenu Cavala ; elle détient Chio et Mitylène, elle touche déjà aux rivages de l’Asie. Il serait injuste de dire que M. Venizelos a accompli à lui seul cette œuvre immense, mais sa pensée directrice a constamment veillé à son développement, et l’estime de l’Europe, qu’il avait su obtenir, a contribué pour une large part au succès de ses efforts pour la grandeur de son pays. C’est pourtant cet homme qui a été sacrifié après deux conseils de gouvernement où il a soutenu que la Grèce devait sortir de la neutralité pour se joindre aux Alliés qui forçaient les Dardanelles. Le Roi a été d’un avis contraire. M. Venizelos a donné sa démission. Le Roi l’a acceptée. Tout cela s’est passé en quarante-huit heures, sans que le peuple y ait rien compris. Il était convaincu que le Roi et M. Venizelos étaient d’accord et, les voyant ensemble à la sortie du Conseil, il les couvrait, de confiance, l’un et l’autre, des mêmes applaudissemens. Le malentendu ne devait pas tarder à se dissiper.

On sait peu de chose sur ce qui s’est passé dans ces conseils de gouvernement, où M. Venizelos avait demandé lui-même que les anciens premiers ministres fussent convoqués ; mais il est aisé de le deviner. M. Venizelos a montré en maintes circonstances qu’il a le sens profond des intérêts de l’hellénisme et il lui a paru qu’en vue de l’avenir, il convenait que la Grèce fût représentée auprès des trois Puissances alliées dans une entreprise qui, devant achever la chute de l’Empire turc, ouvrirait un grand nombre de questions où elle avait un mot à dire et un intérêt à défendre. Son droit serait en rapport avec l’effort quelle aurait fait. Tout le monde aujourd’hui ne pense pas ainsi : bien des gens estiment qu’il vaut mieux laisser les autres prendre toute la peine, courir tous les dangers, recevoir tous les coups, sauf à intervenir au dernier moment, la main tendue dans un geste de réquisition. L’exemple de la Roumanie après la seconde guerre balkanique a exercé sur les esprits une séduction qui pourrait bien être trompeuse. Quoi qu’il en soit, la théorie du moindre