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peu qu’on écoute les voix qui s’élèvent de partout, il semble bien que le consentement général soit prêt à adopter une solution transactionnelle qui, si elle ne donne satisfaction absolue à personne, ne découragera et ne lésera non plus personne : les détroits seront neutralisés et Constantinople sera internationalisée. Les fortifications que la flotte anglo-française détruit en ce moment le long des Dardanelles ne pourront pas être relevées, et il en sera de même de celles, moins nombreuses, qui défendent le Bosphore. Tous les navires pourront circuler librement à travers les détroits. Sans même attendre la fin des hostilités, il y aura une situation de fait, qui sera immédiatement avantageuse à la Russie et à la Roumanie : elles pourront enfin écouler les stocks de marchandises que la guerre a bloqués dans leurs ports. Ce sera un précieux avantage économique pour la Russie, et non pas pour elle seule, car l’Italie, par exemple, traverse en ce moment une crise pénible, faute de blé pour faire du pain. Le blé existe, il est en Russie, il ne demande qu’à venir en Italie ; mais la guerre s’y oppose, on ne peut pas traverser les détroits. Il n’en sera plus de même à l’avenir, si les détroits sont neutralisés, comme l’a été le canal de Suez. Quant à Constantinople, il n’est nullement impossible d’en faire une ville libre sous la garantie des Puissances. La solution est délicate, mais elle n’est pas au-dessus des ressources inventives de la diplomatie, pourvu qu’on y apporte, partout, une égale bonne volonté. La tâche du futur Congrès sera longue et laborieuse et nous aurions préféré qu’elle ne fût pas encore compliquée par la nécessité de résoudre tant de problèmes délicats, compliqués, dangereux que posera l’effondrement de l’Empire ottoman. S’il était encore possible de l’arrêter sur le penchant de sa ruine, il faudrait le faire. Mais le peut-on et la folie de la Porte ne frappe-t-elle pas d’impuissance les concours qui l’ont sauvée autrefois ? La Turquie, l’Autriche ont manqué l’une et l’autre à leur mission, qui était, pour la première de maintenir la liberté des détroits et pour la seconde, de contribuer à l’équilibre de l’Europe. Ce n’est plus la Porte qui garde les détroits, c’est l’Allemagne ; et quant à l’Autriche, devenue elle aussi un prolongement de l’Allemagne, elle a cessé d’être un instrument d’équilibre pour participer à une entreprise de domination. Les conséquences sont là ; nous n’y pouvons rien changer et peut-être la Turquie et l’Autriche ne peuvent-elles non plus y rien changer désormais. On verra plus tard ce qu’il sera possible de faire : pour le moment, la parole est au seul canon.

Quelque haut qu’il parle, sa voix n’est pas encore bien entendue,