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toutes deux pièces espagnoles et pièces burlesques : cela le mit tout de suite en faveur.

Du burlesque au précieux, la transition est aisée, et s’ils ne sont frères, ils sont cousins germains. Brunetière aimait à le répéter et il avait raison. Il n’est que de relire cette tirade, d’ailleurs jolie, où Don Bertrand dit son fait au mariage d’amour et prédit leur avenir aux ménages d’amoureux pauvres :


Mariez-vous sur l’heure et la prenez pour femme,
C’est par où je prétends me venger de tous deux.
Elle sans aucun bien, vous passablement gueux,
Allez, vous connaîtrez plus tôt qu’il ne vous semble
Quel diable de rien c’est que deux riens mis ensemble.
Dans la nécessité vous n’aurez point de paix :
L’amour finit bientôt, la pauvreté jamais.
Afin que tout vous semble aujourd’hui lis et roses,
J’aurai soin de la noce et paierai toutes choses.
Mais vous verrez demain qu’on a peu de douceur
A dîner d’un Ma vie et souper d’un Mon cœur,
Et qu’on est mal vêtu d’un drap de patience
Doublé de foi partout et garni de constance.


Burlesques et précieux se rencontrent dans cet art de faire des métaphores qui se suivent et de les suivre jusqu’au coq-à-1’âne. Thomas Corneille était désigné pour être le poète des précieuses.

Nous avons peine à imaginer aujourd’hui que ces romans interminables et insipides de Mlle de Scudéry et de La Calprenède, le Grand Cyrus, la Cléopâtre, aient passionné les lecteurs et fait pâmer les lectrices. C’est que la roue tourne, la mode passe et l’engouement d’une époque devient incompréhensible à l’époque qui lui succède et s’engoue de modes qui ne valent pas mieux. Le vrai seul est de tous les temps, mais, dans tous les temps, ne s’impose qu’avec peine et pour une période relativement courte. Molière et Racine, aidés de Boileau et forts de l’appui du Roi, feront de haute lutte triompher le naturel ; mais le grand courant n’était pas avec eux : il allait au romanesque et au conventionnel. A lire aujourd’hui Timocrate, il est absolument impossible de découvrir ce qui lui valut une si extraordinaire fortune. La galanterie y règne en souveraine, sans doute, et le quiproquo y rebondit avec maestria. Timocrate est caché sous le nom de Cléomène, et le personnage du prince déguisé a toujours enchanté les âmes romanesques : témoin, dans Fantasio, la gouvernante d’Elsbeth qui prend pour une Altesse ce petit bourgeois de Munich. Cléomène qui doit, pour épouser Ériphile, tuer Timocrate,