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port de refuge pour torpilleurs. Projet d’apparence modeste, mais très hardi vu l’état des lieux.

L’ensemble du port arabe et du « boyau » coudé à angle droit qui le reliait au lac, était inutilisable. Favorisée par l’incurie musulmane, la nature avait repris possession des lieux, bouleversant les jetées, comblant le port avec le sable du large et le canal avec la vase du lac. Si bien que la moindre houle fermait le port aux embarcations. Un vapeur mouillait-il devant la ville ? Le plus souvent, il reprenait la mer, comme à Gabès, sans avoir pu débarquer ses marchandises. Par « vent frais, » des James de trois à quatre mètres déferlaient entre les ruines des deux jetées et leurs pesantes volutes balayaient les magasins en bordure des quais. Les Arabes n’y prêtaient qu’une attention distraite ; point de discussions stériles ; aucune vaine récrimination : accroupis devant la boutique du « kawadji, » les yeux perdus dans le vague, ils dégustaient en silence le vaseux moka, dans des tasses de poupée.

En remontant du port vers le lac, on tombait, au coude du canal, sur une jetée sous-marine qui facilitait la capture des bancs de poissons, mais en arrêtant aussi les vases du lac. On passait ensuite sous un pont et, après avoir traversé les pêcheries, hérissées de pieux, encombrées de filets, on atteignait enfin la magnifique nappe intérieure.

Avant d’aventurer un torpilleur dans ce dédale, il fallait : rendre le port abordable vers le large ; démolir le barrage sous-marin, couper le pont qui enjambait le canal, creuser un chenal de la mer au lac.

Le lieutenant de vaisseau Massé mit tout en train ; mais, au bout de peu de temps, appelé à d’autres fonctions, il céda la place à M. Vignot[1], officier du même grade, qui commandait le torpilleur 37.

Resté vingt mois sur les lieux, soutenu par l’espoir de faire œuvre utile, M. Vignot acheva les opérations de la phase préliminaire, malgré des embarras de toute sorte et des ressources ultra modestes. Le vide du trésor beylical et l’indifférence de la métropole mettaient le personnel en face de

  1. M. le commandant Vignot a bien voulu nous communiquer des précisions relatives à cette période agitée. En le remerciant ici, nous sommes heureux de rendre hommage à son labeur opiniâtre qui lui permit de surmonter des obstacles insoupçonnés, sans découragement, mais non sans amertume.