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situation en marge du grand axe de la Méditerranée, parcouru annuellement par 15 000 navires, qui naviguent comme de gros phalènes, dans le rayon des phares du Cap Blanc, des îles Cani : et du Cap Bon ; sa disposition idéale, où la nature a fait les trois quarts de la besogne.

La signature du traité du Bardo stimula l’enthousiasme en faveur de Bizerte arsenal. Amiraux, ingénieurs, commissions techniques, étudièrent à fond cet ensemble de lacs en cascade : l’Ishkœl, qui se déverse par l’Oued Tinja dans un autre réservoir elliptique de 12 kilomètres sur 9 (devenu la rade de l’arsenal), relié à la mer par un large couloir long de 6 kilomètres et, à cette époque, par un canal étroit et tortueux.

Aménager pour les besoins de la Marine ce merveilleux système, devint une obsession. Mais, au début, la France n’avait qu’une indépendance relative. Bizerte, posté au bord de la route où défile sur des vapeurs la moitié du blé que consomme le Royaume-Uni, pouvait devenir, en temps d’hostilités, un sujet de graves soucis pour nos voisins d’outre-Manche, et, à cette période de pré-Entente Cordiale, la France se buta au mauvais vouloir obstiné de l’Angleterre. Qui eût pu prévoir qu’en 1912, le premier ministre anglais et le premier Lord de l’Amirauté visiteraient l’arsenal de Bizerte, pour en soupeser la valeur en cas de guerre, où nous aurions partie liée avec nos voisins insulaires ?

L’opposition britannique battait son plein, quand un hardi novateur, l’amiral Aube, soumit au Conseil des ministres (1886) un projet de loi portant ouverture d’un crédit extraordinaire de onze millions « pour l’aménagement d’un port dans le lac. » Le Conseil des ministres ne crut pas pouvoir adopter la proposition de l’amiral Aube, non qu’il la désapprouvât en principe, mais, gêné par certains engagemens pris vis-à-vis des Puissances, il estimait que l’œuvre était prématurée : il fallait une préparation diplomatique. En effet, dès le 14 mai 1881, lord Lyons, ambassadeur d’Angleterre à Paris, avait protesté contre l’idée de transformer Bizerte en arsenal maritime. M. Barthélémy Saint-Hilaire lui répondait le 16 mai : « Nous n’avons pas plus le désir de nous annexer Bizerte que tout autre point de la Tunisie. Sans doute il est possible que nous soyons amenés à favoriser le développement commercial de ce port et à encourager les tentatives qui seraient faites, dans l’intérêt même de la