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toutes furent repoussées. Elles reprirent au jour sur les tranchées du cimetière. Le mur d’enceinte était tombé depuis longtemps sous les coups de l’artillerie allemande ; par les meurtrières des créneaux, on voyait l’immense plaine de betteraves au bord de laquelle nous combattions, le dos à Dixmude et à son schoore presque entièrement reconstitué. À l’horizon, sur sa butte solitaire, l’imprenable château de Woumen, enveloppé de bois et de fumée, commandait la position ; les flocons blancs des batteries s’accrochaient aux branches qui semblaient perdre leur duvet. Comme toujours, l’ennemi préparait ses attaques par un déblayage en règle du terrain : shrapnells et marmites fracassaient les dalles, hachaient les croix et quelquefois allaient déterrer à deux mètres sous terre de vieux cercueils pleins de sanie. Plusieurs fusiliers furent blessés par des esquilles d’ossemens « mobilisés… »

« On ne mollissait pas quand même, écrivait le fusilier G… Mais on comprenait que tout le monde ne fût pas organisé comme nous et les moricauds (Sénégalais), et on avait pitié de ces pauvres Belges, si éprouvés, qui, eux, vraiment, n’en pouvaient plus, surtout leurs chasseurs à pied[1]. Il fallait bien leur donner un coup de main et les remplacer aux tranchées, même quand nous, n’étions pas de relève. Il y avait continuellement, sur nous, deux ou trois aviatiks, qu’on avait beau fusiller et qui revenaient toujours aux mêmes heures, comme la misère sur le monde. Quand ils avaient regagné leurs perchoirs, on était sûr de son affaire : les marmites vous arrivaient droit dans l’œil. Et quelle musique ! »

Quelle musique, en effet, surtout comparée au « toussotement » de nos petits canons belges ! Le 9 novembre enfin, un groupe de douze 75, tout battant neufs, vint relever ces asthmatiques. On les répartit entre Caeskerke et l’Yser. Le cimetière restait « notre point noir. » Une des tranchées que nous y occupions avait été prise par les Allemands ; mais une vigoureuse contre-attaque de l’enseigne Melchior les en délogeait presque aussitôt. « Exaspéré de tant d’efforts stériles, écrit le lieutenant de vaisseau A…, l’ennemi se décida, le 10 novembre, à frapper un coup décisif. Vers dix heures du matin commença le plus terrible bombardement que la brigade ait eu à supporter. Le

  1. Souvenons-nous que les Belges se battaient depuis trois mois et que, jusqu’au 23 octobre, ils avaient été à peu près seuls contre les forces allemandes.