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rapprochées qui s’étaient crues prises à revers et qui l’eussent été en effet, si l’attaque avait été soutenue. La bande arrivait devant l’ambulance au moment où le personnel (trois médecins belges, quelques matelots infirmiers et le quartier-maître Bonnet) s’empressait autour du Dr Duguet qui respirait encore. Elle fit prisonnier tout le paquet et l’entraîna dans sa ruée imbécile à travers la ville. Officiers et soldats devaient être ivres. On aurait peine à s’expliquer autrement une équipée aussi folle ; nous tenions tous les abords de Dixmude ; le bref mouvement de panique qui s’était produit dans certaines sections avait été tout de suite enrayé. L’invraisemblance d’une action nocturne à l’intérieur de la défense était telle que le commandant Jeanniot, en réserve cette nuit-là et qui, réveillé par la fusillade, comme le Dr Duguet et l’abbé Le Helloco, était sorti de sa maison pour armer son secteur, n’avait pas mis le revolver en main. Se méprenant sur les intentions et les qualités des groupes qui s’avançaient, il court à eux pour les arraisonner et les reporter vers la tranchée. Ce petit homme replet, grisonnant, aux manières rudes et simples, est adoré de nos marins. Il n’y en a pas de plus brave. On le sait, et lui-même connaît son ascendant sur ses hommes. Quand il s’aperçoit de sa méprise, il est trop tard : les Allemands l’ont saisi, désarmé et entraîné au milieu de hoch ! hoch ! de satisfaction. La bande continue à foncer vers l’Yser, poussant devant elle quelques fuyards et réussissant en partie à franchir la rivière au milieu de la confusion qui s’ensuit. Heureusement, l’hésitation dure peu. À la clarté d’un projecteur, le capitaine de frégate Marcotte de Sainte-Marie, qui commande la garde du pont, identifie l’assaillant et fait immédiatement ouvrir le feu sur lui : la plupart des Allemands qui se trouvent dans le rayon de nos mitrailleuses sont fauchés ; le reste se débande par les rues et court se cacher dans les décombres et les caves. Mais la tête de colonne avait passé l’eau, avec ses prisonniers, qu’elle chassait à coups de crosse. Pendant quatre heures, elle va tourner sur place, perdue dans les ténèbres, en quête d’une issue qui lui permette de rallier ses lignes. Il pleut toujours. Las de patauger dans la boue, les officiers s’arrêtent derrière une haie pour tenir conseil. Une pâle lueur commence à percer la brume : c’est le petit jour et il n’est plus possible de songer à regagner en corps les lignes allemandes ; la prudence commande donc de s’égailler jusqu’au