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Quelle tristesse en particulier quelques-uns d’entre nous n’ont-ils pas ressentie en voyant proclamer à nouveau à- propos de cette guerre la prétendue « faillite de la science ! » Des plumes éloquentes, identifiant la pédante Allemagne et la science elle-même, ont pu écrire récemment que le XXe siècle, gavé pour ainsi dire de découvertes scientifiques, cesserait d’adorer la fée qui a suscité tant de miracles sans éteindre la haine parmi les hommes. Mais pourquoi d’abord considérer l’Allemagne comme le tabernacle même de la science ? Quand on met en regard ce que l’Allemagne a fait pour les progrès de nos connaissances avec ce qu’ont fait la France ou l’Angleterre, il est facile de voir que sa part n’est pas la plus belle, ni surtout la plus originale, comme Ta démontré naguère éloquemment M. Appell, président de l’Académie des Sciences. La théorie même dont l’Allemagne intellectuelle se réclame pour justifier ses crimes collectifs, la théorie de l’évolution est tout entière l’œuvre d’un Français, Lamarck et d’un Anglais, Darwin ; et c’est tout justement parce qu’il l’a mal comprise et vue seulement à travers ses épaisses lunettes de myope que le professeur Knatscke ose en tirer les corollaires monstrueux qui sont l’évangile nouveau du « bon Dieu Allemand. » Les Nietzsche, les Treitschke, les Bernhardi et tous les autres pédans d’universités germaniques qui leur emboîtent le pas n’ont pu conclure de la théorie évolutionniste à leurs criminelles doctrines que par une sophistication et une incompréhension puériles. La guerre découle si peu de la sélection naturelle qu’elle aboutit exactement au contraire de celle-ci. N’est-ce pas en effet la destruction des plus aptes, des jeunes, des forts, des courageux et parallèlement la conservation parfaite des déchets des nations qui sont le résultat immédiat des guerres ? Celles-ci font non pas une sélection naturelle, mais une sélection à l’envers, une sélection contre nature. Les « savans » allemands sont donc mal venus à prétendre raisonner scientifiquement à cet égard, et rien ne permet de solidariser la science avec leurs sophismes sauvages.

Quant aux moyens de destruction perfectionnés que la science a mis entre les mains des chevaliers de la « Kultur, » il ne faut pas trop les maudire puisqu’ils nous donnent, de l’autre côté de la barricade, les moyens de défendre la cause de l’idéal, et puisque ce sont eux précisément qui nous permettent de dominer dans l’artillerie. Conclure du perfectionnement