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dont on n’entendait partir le projectile qu’après l’avoir entendu éclater à son arrivée. C’est un paradoxe acoustique bizarre, mais tout n’est-il pas, peu ou prou, paradoxal en ce moment ?

Mais ce qu’il y a de plus étourdissant dans la musique infernale d’un combat d’artillerie, c’est, sans concurrence possible, l’éclatement tout proche d’une grosse marmite boche. Toutes les grosses caisses, toutes les cymbales réunies du plus wagnérien des orchestres n’en pourraient donner qu’une pauvre idée. Les gros obus d’outre-Rhin font toujours bien du fracas, s’ils ne fracassent pas toujours.

Lorsqu’on a la chance, comme cela nous est arrivé parfois, que le sifflement des balles se mette de la partie, alors la symphonie est complète. Le « pftt » flûte et furtif des balles est presque une douceur à côté de la grosse pétarade, et il m’a souvent incité à des remarques curieuses sur la physique, — car si, à l’heure qu’il est, on ne peut faire en morale que des réflexions un peu attristantes, il n’en est pas de même en physique. Par exemple, tous ceux qui ont entendu siffler les balles à quelques centimètres de leur oreille ont remarqué que le sifflement commence par être très aigu, puis prend brusquement un timbre beaucoup plus grave avant de s’évanouir. La raison en est simple : pendant que la balle se rapproche de l’oreille, la longueur des ondes sonores qu’elle nous envoie est diminuée de sa vitesse ; les ondes sont donc plus courtes que si la balle était immobile, donc le son plus aigu. Au contraire, lorsque la balle nous a dépassé et s’éloigne, sa vitesse s’ajoute à la longueur des ondes sonores qu’elle nous envoie, donc ces ondes sont plus longues, et le son est plus grave. C’est le même phénomène qui fait que, lorsqu’un express traverse une gare à toute vitesse en sifflant, les voyageurs placés sur le quai remarquent que le son du sifflet devient brusquement plus grave dès que la locomotive les a dépassés.

Lors donc que le son d’une balle qui siffle devient plus grave, c’est que cette balle nous a déjà dépassé ; ce n’est pas celle-là qui nous tuera. Il y a dans cette remarque de quoi abréger d’un temps non négligeable, — quelques centièmes de secondes, — l’angoisse de ceux qui n’aiment pas beaucoup le sifflement, pourtant si musical et discret, des balles à leur oreille.

Départs enflammés et tonitruans de nos obus, leur long hululement de bise dans le6 airs, leur éclatement joyeux sur