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pièce de campagne qui rend actuellement de réels services) tire à 3 400 mètres, j’ai constaté, étant près de la pièce, qu’il s’écoule environ 20 secondes entre le départ du coup et le moment où on entend son éclatement. Le bruit de celui-ci mettant environ 10 secondes à me parvenir (puisque 3400 mètres égale dix fois la vitesse du son), il s’ensuit que le projectile met un temps égal à parcourir 3 400 mètres. Il s’ensuit donc que si une pièce analogue au canon de 90 (et il représente assez bien comme portée utilisable la moyenne des pièces employées dans cette guerre) tire sur moi, à une distance inférieure à 3400 mètres, le projectile me viendra du canon plus vite que le son, et je recevrai l’obus ou plutôt, — et de préférence, — je l’entendrai éclater près de moi, avant d’avoir entendu le départ du coup. Si, au contraire, il tire sur moi à distance plus grande, j’entendrai d’abord le départ du coup, et, quelque temps après, l’arrivée de l’obus, ce temps étant d’ailleurs d’autant plus long que la distance est plus grande. Or, en fait et en général, surtout dans la guerre telle qu’elle se poursuit depuis quelques semaines, on tire à des distances beaucoup plus considérables. Lors donc qu’une batterie allemande tire sur nous et s’est signalée par l’arrivée d’un premier obus, on a généralement le temps, dès qu’on entend partir le coup suivant, de se mettre dans les abris qui sont creusés un peu partout, bien avant qu’il n’arrive. Si même on n’entend pas le départ du coup, le sifflement de l’obus, en vertu des mêmes phénomènes, précède celui-ci assez longtemps pour qu’on puisse prendre ses précautions. Lorsque le coin où ils se trouvent est particulièrement visé, j’ai vu les hommes prendre, suivant les cas, dans cette circonstance, les attitudes les plus variées ; les uns, quand il y a des abris, s’y blottissent tranquillement ; d’autres ne daignent pas même changer de place ; d’autres, qui sont à cheval, en descendent sans hâte pour être plus près du sol ; d’autres se couchent sur le ventre ou sur le dos. Il y a en effet grand intérêt à dépasser le moins possible la surface du sol, lorsqu’un obus, du moins ; un obus explosif, arrive. — Mais je suis obligé d’ouvrir ici une nouvelle parenthèse pour expliquer d’un mot ce qu’est cet obus.

Nous avons vu que l’obus fusant est construit de façon à éclater en projetant les balles qu’il enferme, à une certaine hauteur au-dessus du sol. L’obus explosif au contraire est fait, ainsi que sa fusée, de manière à n’éclater que lorsqu’il rencontre un