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lieu. L’artillerie de campagne allemande, au contraire, n’a pour ramener le canon sur l’affût qu’un frein à ressort et, après chaque coup, il faut refaire le pointage exact. De là chez nous une bien plus grande exactitude et une plus grande rapidité de tir, et ceci est encore une des causes de la supériorité du 75.

Avec des servans bien dressés, on arrive à tirer ainsi facilement une trentaine de coups par minute et par pièce. On conçoit que, pour faire en deux secondes toutes les opérations dont je ne viens de décrire que les plus importantes, il faille une coordination parfaite, un synchronisme complet entre les mouvemens des servans. Pour compléter ce tableau, mettez, derrière le groupe des servans en action et, à quelques pas, le maréchal des logis, chef de pièce, qui surveille tout, rectifie au besoin un détail, remplace le servant qui tombe, mettez sur la pièce et le caisson des branchages destinés à les dissimuler à la vue des avions, imaginez derrière chaque canon une sorte de terrier recouvert de rotins et de gazon où les hommes se réfugieront à l’occasion, multipliez par quatre ce premier tableau en mettant à la gueule de chaque pièce une brève langue de flamme intermittente et un très ténu panache de fumée, et vous aurez l’image d’une batterie de 75 dans le feu de l’action. Voilà ce qu’on voit. Voici maintenant ce qu’on entend : tout d’abord les commandemens qui, du capitaine par le téléphoniste vont aux chefs de section, et qu’il serait trop long d’expliquer ici : « Par la droite par batterie, correcteur 18, 3500… Augmentez l’échelonnement de 5, correcteur 18, 3 900… Tir progressif, correcteur 20, fauchez double !… etc. » Voilà pour les hommes. Je ne parle pas des cris des blessés, nos blessés ne crient pas, et c’est encore une des choses les plus étonnantes de cette guerre que je n’ai jamais entendu un blessé se plaindre. J’en ai vu des centaines râler, divaguer même, j’ai entendu les hoquets lamentables des pauvres poitrines trouées et où le sang qu’elles vomissent ne laisse plus passage à l’air ; mais je n’ai jamais entendu un blessé se plaindre. C’est incroyable, et cela est. Voici maintenant la musique que font les choses : c’est d’abord le claquement périodique des culasses qui s’ouvrent et se ferment, le bruit métallique des douilles éjectées tombant sur le sol ou la crosse du canon ; c’est surtout le coup de canon lui-même. Il est pour le 75 bref et coupant comme un coup de fouet et douloureux aux tympans non aguerris ; puis, de suite, c’est le long