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par sa puissance de travail et son jugement sûr, il a gagné la confiance du chancelier et de deux secrétaires d’Etat successifs, ainsi que les bonnes grâces de l’Empereur. Tout le monde pense à Berlin que l’ascension de M. Zimmermann ne s’arrêtera pas en si beau chemin.

On pourrait le nommer avec raison la providence des diplomates. Les chefs de mission et les chargés d’affaires, en quête de nouvelles et à court d’informations, s’adressent à lui, afin de pouvoir renseigner leurs gouvernemens sur les faits qui les intéressent. Le sous-secrétaire d’Etat ne leur dit que ce qu’il faut dire, sans trahir les secrets de la chancellerie impériale, mais cela suffit pour les mettre sur la trace de la vérité, car ses renseignemens sont toujours exacts.

Est-il possible de deviner quel est son sentiment intime au sujet de la guerre ? Est-ce faire injure à son patriotisme que de douter qu’il ait été très persuadé de sa nécessité ? La réponse est difficile, car c’est un sujet sur lequel tout Allemand susceptible de franchise, s’il n’est pas imprégné d’un incurable pangermanisme, évitera aujourd’hui de se prononcer devant un étranger. Ce que je puis affirmer, sans risquer d’être contredit, c’est que le sous-secrétaire d’Etat n’était pas un partisan convaincu de la politique des alliances, ce legs de Bismarck, et qu’il en mesurait les entraînemens et les dangers. Que de fois, pendant la crise balkanique, l’a-t-on vu de mauvaise humeur contre le Cabinet de Vienne, indocile aux bons conseils télégraphiés de Berlin ? Lorsque j’ai pris congé de lui, avant de regagner mon malheureux pays déjà, envahi par les avant-gardes allemandes, il m’a dit d’un ton sincère et désolé : « Ah ! cette guerre est bien la fin de la politique des alliances ! » Que de désillusions ou de regrets étaient contenus dans cet aveu !

D’un autre côté, ses relations suivies avec les directeurs des grandes sociétés financières, avec les magnats de l’industrie et du commerce, invités à sa table de célibataire en même temps que des diplomates étrangers, devaient faire supposer à ces derniers que leur amphitryon partageait les idées pacifiques de ses convives allemands. La continuation du vigoureux développement de l’industrie nationale exigeait la continuation de la paix. C’est une vérité indiscutable qu’on ne saurait trop répéter. Bien plus, la continuation de la paix aurait suffi aux