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Si l’on rapproche cette conversation de M. de Jagow de son dernier entretien avec sir Ed. Goschen, où il a regretté la faillite de sa politique d’amitié avec l’Angleterre et de réconciliation avec la France, on devine aussitôt quelles conditions M. de Bethmann-Hollweg et lui, ces deux pacifistes, auraient mises à la consolidation d’un pareil accord. Il aurait fallu abandonner de bonne grâce à l’Allemagne les petits États qui l’empêchent de se développer le long de la mer du Nord et la gênent pour respirer à son aise ; il aurait fallu consentir à ce qu’elle les fit entrer un jour ou l’autre, de gré ou de force, dans la fédération germanique ; qui serait devenue ainsi le grand empire, héritier de l’empire lointain du Moyen Age, rêvé par les intellectuels allemands.


VIII

Lorsqu’on longe la Wilhelmstrasse en venant des Linden, on voit à droite une longue construction vétuste à un seul étage, du style démodé des premières années du XIXe siècle. Elle parait bien nue et bien modeste à côté des hôtels du siècle précédent qui l’encadrent et des palais modernes des administrations impériales qui lui font vis-à-vis. Ce vieux bâtiment n’est autre que le ministère des Affaires étrangères, l’ « Auswärtiges Amt » de l’Empire. C’est là qu’ont été prémédités, il y a cinquante ans, les changemens pratiqués à coups d’épée par les Hohenzollern dans la carte de l’Europe, là qu’est le véritable point de départ de leur puissance impériale. Gravissez les marches de l’escalier de pierre, vous respirerez en entrant cette odeur vénérable que laissent les dossiers et les paperasses dans un édifice ancien et mal aéré. Suivez le couloir central qui le divise. Un huissier bienveillant vous guidera jusqu’à la porte d’un cabinet qui n’est pas beaucoup plus grand qu’une cellule, et vous vous trouverez en présence du sous-secrétaire d’État.

M. Zimmermann est un blond Germain à la moustache militaire, au sourire aimable que ne dément pas la cordialité de son accueil. Ce haut fonctionnaire est un self made man dans toute la force du terme. Après qu’il a eu rempli avec distinction des fonctions consulaires en Extrême-Orient, son mérite l’a fait appeler à l’Office central et l’a porté jusqu’au poste élevé où,