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mal élevé, mais bon enfant, avait une brusquerie déconcertante que rachetait parfois un humour jovial. Par un côté pourtant, ces deux Allemands, le Prussien et le Wurtembergeois, se ressemblaient ; c’était par leur dédain des petites nationalités et leur parfait mépris des États secondaires. Tous les jeudis, arrivait ponctuellement dans chaque légation une lettre autographiée annonçant qu’à son grand regret le secrétaire d’Etat ne pourrait pas recevoir le ministre étranger le lendemain, jour fixé pour la réception des envoyés extraordinaires. Dans d’autres pays, on ne fait pas de différences entre les ambassadeurs et les ministres plénipotentiaires ; ces derniers trouvent le même accès que leurs grands collègues auprès du chef du département des Affaires étrangères, dont le temps est aussi précieux que celui du secrétaire d’Etat de l’Empire allemand. A quoi bon, se disait probablement M. de Jagow, comme l’avait fait avant lui M. de Kiderlen, recevoir ce menu fretin de diplomates ? S’ils ont une affaire urgente à traiter, qu’ils téléphonent pour demander une audience ! Mais converser chaque semaine avec eux sur l’état de l’Europe, subir leurs questions, être obligé d’y répondre, quelle perte de temps inutile ! En quoi la politique générale intéresse-t-elle ces messieurs ? Quant à m’enquérir auprès d’eux de ce qui se passe dans leurs petites capitales, je n’en ai nul besoin ; il me suffit de lire les excellens rapports des agens impériaux auprès des cours inférieures.

Eh bien ! non, monsieur le secrétaire d’Etat, ces sources d’informations n’étaient pas suffisantes. Si vous aviez mieux connu l’état des esprits en Belgique, l’attachement passionné des Belges à leurs libres institutions, leur résolution inébranlable de résister à toute pression étrangère, de quelque côté qu’elle vint, et de défendre jusqu’à la mort leur indépendance et leur neutralité, qui avaient à leurs yeux autant de prix qu’en peut avoir pour les Allemands leur unité nationale ; si vous aviez su tout cela, peut-être auriez-vous mis en garde votre Empereur contre les mécomptes, contre les dangers d’une invasion brusquée du petit pays voisin et ami. Vous ne passez pas vous-même pour un batailleur. Vous êtes trop expérimenté et trop clairvoyant, d’autre part, pour n’avoir pas entrevu, mieux que les professionnels de l’état-major, les développemens de la crise européenne qu’ils allaient déchaîner. Mais vous n’aviez pas été appelé à Berlin, me diriez-vous, pour y faire