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dans le sang d’une guerre contre un ennemi du dehors. Il serait imprudent, à mon avis, d’essayer de rompre ce lien : momentanément disjoints par une force étrangère, les anneaux s’en ressoudraient d’eux-mêmes. Mais, dans une Allemagne vaincue, les princes confédérés, courbés hier devant l’Empereur, seraient peut-être les premiers demain à relever la tête et à contester à leur César humilié la toute-puissance dont il aurait mal usé.


VI

L’élévation de M. de Bethmann-Hollweg au poste de chancelier de l’Empire a été le triomphe de la bureaucratie. Après s’être adressé successivement à l’armée, à la haute noblesse et à la diplomatie, en cherchant des épaules assez fortes pour porter le pesant héritage de Bismarck, l’Empereur a dû se rabattre sur le fonctionnarisme prussien. C’est dans ses rangs que le cinquième chancelier a fait toute sa carrière depuis le grade d’assesseur, passant par les fonctions de président de province, de ministre de l’Intérieur de Prusse et de secrétaire d’Etat de l’Intérieur de l’Empire, vice-président, comme tel, du ministère prussien et remplaçant du chancelier. Moins de vingt-cinq ans lui ont suffi pour escalader tous les échelons de la hiérarchie administrative et pour devenir le deuxième personnage de l’État. La qualité d’ancien condisciple de Guillaume II à l’Université de Bonn n’a pas nui sans doute à la rapidité de cet avancement. Si, en France, chaque conscrit a dans sa giberne le bâton de maréchal, en Prusse chaque fonctionnaire à ses débuts pourra se dire, d’après l’exemple de M. de Bethmann-Hollweg, qu’il porte avec lui sa nomination de chancelier.

Quelles qualités éminentes ont déterminé le choix de l’Empereur et valu à ce bureaucrate distingué l’honneur de succéder au brillant prince de Bülow ? Quand on aura vanté son honnêteté, son application au travail, sa culture intellectuelle et l’austérité de ses principes religieux, on aura tout dit de son esprit. Si l’on y ajoute un visage ouvert, un abord sympathique et une taille de géant, le portrait sera complet. Amis et adversaires proclament que sa vie privée est inattaquable ; ils ont sincèrement plaint le chancelier, lorsque la mort est venue briser un bonheur conjugal exemplaire. Mais ce sont là pour