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prévoyait peut-être pas que ces princes, pourvus d’une ombre de souveraineté, seraient les fortes colonnes du principe monarchique dans la nouvelle Allemagne. S’ils avaient été complètement dépossédés, la propagande socialiste et républicaine aurait fait des pas de géant partout où le régime prussien était abhorré. Los populations, gouvernées paternellement depuis des siècles par quelques-unes de ces dynasties locales, ont conservé, en majeure partie, leur fidélité royaliste. Les Hohenzollern n’ont pas de profondes racines dans le pays, en tant qu’empereurs ; ils sont aimés, comme rois de Prusse, dans leurs provinces héréditaires de la rive droite de l’Elbe.

Il est difficile de croire que la nouvelle de la déclaration de la guerre ait charmé tous ces pseudo-souverains qui n’avaient pas été consultés sur sa nécessité. Ceux de Bavière, de Saxe, de Wurtemberg et de Bade ont été tenus au courant, pour la forme, de la marche précipitée des événemens. La guerre dérangeait chez quelques-uns de vieilles et confortables habitudes : pas de voyages à l’étranger tant qu’elle durerait, de séjours dans les villes d’eaux, ni même de déplacemens de chasse. Elle les exposait presque tous à des deuils cruels. Cependant chacun d’eux, par discipline ou dans un élan de patriotisme sincère, a cru devoir la saluer avec enthousiasme. Le roi de Bavière, le roi de Saxe, ont prononcé des discours aussi belliqueux que ceux de l’Empereur. Tous se sont empressés de hurler avec les loups. D’ailleurs, il faut bien le dire, parce que l’opinion contraire a été soutenue à tort, la guerre a été aussi acclamée dans le reste de l’Allemagne que dans la Prusse elle-même ; les premières manifestations ont été encore plus bruyantes à Munich qu’à Berlin. A Dresde, la populace a brisé, avec une fureur au moins égale à celle des bourgeois de la capitale prussienne, les vitres de la légation britannique. Cet état d’esprit prouve d’abord qu’une partie de l’opinion publique, celle qui s’est montrée si démonstrative, avait été aussi pervertie, aussi infectée du virus pangermaniste, chez les tranquilles habitans des régions méridionales que chez leurs frères du Nord, infatués de leur supériorité militaire, et aussi que l’unité allemande est maintenant considérée par tous les Germains comme la condition indispensable de leur existence nationale.

L’idée géniale de Bismarck, le forgeron de l’unité allemande, a été, pour achever de la rendre populaire, de la tremper