Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/256

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


IV

Lorsqu’un chef d’État accapare, comme un astre unique, l’attention du monde civilisé, son entourage ne comprend aucune illustration susceptible de lui porter ombrage et se tient modestement dans une obscurité discrète. Il en va ainsi à la cour de Berlin. Les hautes charges effectives y sont remplies par des hommes compétens aux manières courtoises. Aucun de ces messieurs ne jouit d’une importance particulière, mais ils appartiennent tous ou ont appartenu à l’armée et, par leurs liens de famille, à l’aristocratie agrarienne. Ils ont toujours épousé les passions de la caste militaire et du parti conservateur prussien, dont ils partagent la haine contre la France et les Puissances ayant partie liée avec elle. Dans leurs conversations avec leur maître, le refrain qui courait sur leurs lèvres ne pouvait être que : Delenda est Gallia ! Cette unanimité de sentimens groupée autour de lui devait faire impression sur l’esprit de Guillaume II, n’eût-il pas été aussi disposé à se les assimiler., La personne de la Cour qui passait, avant la guerre, pour avoir le plus de crédit auprès du Kaiser était la Grande Maîtresse de la maison de l’Impératrice, gardienne sévère des traditions et de l’étiquette prussiennes. Il n’est pas vraisemblable qu’elle ait employé son pouvoir à contre-balancer l’action néfaste des dignitaires masculins.

Il en est de même d’un seigneur de haut lignage et d’origine autrichienne, le prince Max Egon de Furstenberg, qui occupe aujourd’hui dans l’amitié du monarque la place d’honneur usurpée autrefois par le vicieux et charmeur Philippe d’Eulenburg. C’est le favori en évidence, le confident dont l’Empereur ne peut pas se passer et qu’il tutoie. Il lui a donné une des grandes charges honorifiques de sa cour, celle de grand maréchal, prélude, disait-on, de fonctions beaucoup plus importantes dans le gouvernement. Mais comment ce nouveau venu, mi-allemand et mi-autrichien, apparu à Berlin après avoir hérité des immenses propriétés de son cousin, Karl Egon, de la branche aînée, aurait-il pu remplir autre chose qu’un emploi décoratif, n’étant pas capable de gérer sa fortune personnelle ? Au lieu de jouir en paix du revenu vraiment royal de son majorât, le prince Max Egon s’est imaginé qu’il possédait le génie