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il n’y a pas paru inférieur et s’est trouvé amené à jouer un rôle qui l’a entouré d’un prestige imprévu. Rien ne permet de croire, ou du moins rien n’autorise à dire que M. Giolitti en ait pris ombrage : en est-il de même de ses amis ? Si les choses tournent bien et s’il reste au pouvoir, M. Salandra en aura l’honneur, il en sera le bénéficiaire et c’est une perspective qui ne plaît pas à tout le monde, bien que tous les partis soient prêts à se réjouir d’un succès national. Pour le moment, les socialistes sont divisés. Le plus grand nombre est favorable à la neutralité, les autres le sont à l’intervention. Les catholiques, généralement peu sympathiques à notre cause et pleins d’attendrissement pour l’Autriche, sont aussi en majorité pour l’abstention. La logique des choses n’en travaille pas moins en sens contraire. L’Italie ne pardonnerait pas à son gouvernement, — qui le sent bien, — si, après la crise actuelle, elle se retrouvait les mains vides. Comment un homme aussi fin que M. Giolitti peut-il croire que la diplomatie suffira à les remplir ? On avait conclu à Rome de la lecture de quelques journaux allemands que l’Autriche serait assez raisonnable pour faire, au bon moment, les concessions nécessaires et le prince de Bülow y entretenait de son mieux ces espérances. Gagner du temps est beaucoup pour l’Allemagne, mais il n’est pas sûr que, lorsque l’Allemagne en gagne, ce ne soit pas l’Italie qui le perde. Que l’Allemagne, par l’entremise irresponsable de ses journaux, promette généreusement à l’Italie ce qui ne lui appartient pas, nul ne s’en étonnera, car rien n’est plus conforme à sa manière ; mais il est plus intéressant de savoir ce qu’en pense l’Autriche-Hongrie, et c’est ce que la Nouvelle Presse libre de Vienne a dit dans un article de ton cassant et péremptoire. « Aucun homme politique sensé, y lisons-nous, ne peut considérer comme possible qu’un grand empire se laisse fermer brutalement l’accès de la mer pour faire plaisir à une poignée de nationalistes exaltés qui vivent sur son territoire. Si nous devions perdre la côte de l’Adriatique, nous chercherions sans cesse à la reconquérir et la loi naturelle reprendrait bientôt toute sa force et toute sa valeur. Comment surtout penser que notre monarchie, après une guerre sans précédent comme la guerre actuelle, consente à une réduction de notre territoire tant qu’elle sera en état de respirer ? »

L’Italie peut se tenir pour éclairée. Il y a des questions qui ne se résolvent que par la force. Pendant quarante-quatre ans, nous avons eu l’impression que celle de l’Alsace-Lorraine était du nombre ; celle de Trieste et de l’Adriatique en est aussi. Mais, comme l’a dit M. Sazonow, l’Italie aussi bien que la Roumanie sont seules maîtresses