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aurait pu survivre, si elle n’avait pas eu la folie d’y exposer ses destinées. Que celles-ci s’accomplissent ! Parmi tous les griefs actuels de l’Europe contre la Porte, il en est un qu’il est impossible d’oublier. L’intérêt principal que l’Europe attachait au maintien de l’Empire ottoman est qu’elle voyait en lui le gardien des Détroits, le garant de leur liberté. Cette liberté n’existe plus : cela juge la Porte et la condamne.

Les suites de l’événement s’étendront très loin, et aucun des pays dont la Méditerranée baigne les rivages ne saurait y rester indifférent. L’Italie en particulier, que l’ardente méditation d’un grand passé prédispose à de grandes vues d’avenir, en éprouvera une impression très vive : elle entendra les appels qui lui viendront du fond de son histoire. Elle en a entendu de plus récens, qui, bien que d’un caractère moins solennel, n’en sont pas moins suggestifs. M. Sazonow, dans le discours qu’il a prononcé à l’ouverture de la Douma et où il a passé en revue toutes les questions européennes et asiatiques, a dit un mot des nations neutres qui n’avaient pas encore pris de résolution définitive. « Cette résolution, a-t-il ajouté, leur appartient, elle est à eux, car ils seront seuls responsables devant leurs nations respectives, s’ils laissent échapper l’occasion favorable de réaliser l’aspiration nationale. » Nous qui connaissons surtout l’Italie de la seconde moitié du dernier siècle, nous ne l’avons jamais vue laisser échapper cette occasion. L’observation de M. Sazonow l’a-t-elle frappée ? Peu de jours après le discours du ministre russe, un article de journal produisait dans toute la péninsule une émotion contagieuse et générale crue les articles de journaux provoquent rarement avec une telle intensité. Le Giornale d’Italia énonçait, proclamait « le devoir italien, » et il le faisait en termes véhémens. — Le moment le plus critique de la conflagration européenne approche, disait-il ; l’avenir de l’Europe sera décidé dans une prochaine recrudescence du conflit ; ensuite viendra la phase des arrangemens. Mais le destin sera désormais fixé, et tous devront le subir, les vaincus comme les neutres. Nous ne croyons pas que le peuple italien sente suffisamment l’approche de ce moment où va se décider l’avenir de la patrie. Les Italiens, cependant, savent depuis de longs mois que la neutralité actuelle ne peut pas être une fin, qu’elle représente une période de recueillement, de préparation et d’attente. Il est donc temps de dire au peuple italien de ne pas se faire d’illusion sur la prolongation indéfinie de l’état de choses actuel. Nous croyons pouvoir proclamer que l’Italie ne peut pas sortir de cette terrible