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distinction des militaires et des civils, dont ils parlent si souvent pour l’imposer aux autres, n’existe pas pour eux. Quoi qu’il en soit, les effets produits par leurs zeppelins sont jusqu’ici d’un intérêt secondaire.

La guerre sur terre et sur mer en a eu un plus grand, qui malheureusement n’a pas toujours été ce que nous aurions désiré. Il n’y a pas lieu de dissimuler que les Russes ont éprouvé dans la Prusse orientale un échec que les Allemands exagèrent, comme ils le font toujours, dans des proportions à la mesure de leur orgueil. Les Russes, plus véridiques, ont l’habitude de reconnaître leurs mécomptes et de les réparer. Cette fois, leur échec a surtout un caractère moral : ils occupaient un territoire allemand, ils l’ont évacué. C’est un désagrément sans doute, mais nullement un désastre, et l’armée russe continue de maintenir devant elle une immense armée allemande, commandée par le meilleur général allemand. La conséquence la plus regrettable de l’échec russe est le trouble et l’hésitation que certaines puissances balkaniques en ont éprouvés. La Roumanie, par exemple, semblait sur le point de sortir de la neutralité, et assurément elle n’a pas renoncé à le faire, mais le moment opportun, qui lui semblait prochain, lui apparaît maintenant plus éloigné. Les mouvemens de l’armée russe, qui a évacué la Bukovine après l’avoir partiellement occupée, sont certainement pour beaucoup dans cet ajournement. L’attitude équivoque de la Bulgarie y a aussi contribué. Nous avons parlé de l’inquiétude qu’à fait naître dans les esprits le fait que la Bulgarie a touché de l’argent à Berlin : les derniers renseignemens sur cette affaire donnent à croire qu’elle n’a pas eu le caractère politique qu’on lui a attribué, et que la Bulgarie n’a pas contracté d’engagemens nouveaux. Soit : elle reste neutre, libre, perplexe, regardant de tous les côtés sans se prononcer définitivement pour aucun. Elle vient de faire un arrangement avec la Roumanie en vertu duquel les deux pays ouvrent réciproquement leur territoire au passage des marchandises qui leur sont destinées. On affirme que le matériel de guerre est exclu de la convention : nous ne saurions dire ce qu’il en est. Quoi qu’il en soit, cette convention a été une surprise. En somme, tout reste en suspens dans les Balkans. Mais le canon de la flotte anglo-française vient de tonner à l’entrée des Dardanelles. C’est un acte nouveau et grave. Il était attendu depuis longtemps ; il s’exécute enfin et ses conséquences, s’il réussit comme nous l’espérons bien, feront sortir les pays balkaniques de leurs longues incertitudes.

L’attitude de la Porte ottomane ne pouvait plus être tolérée.