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souvent ; et, un jour, dans les premiers temps, une lettre qu’il reçoit lui fait répandre des larmes : il ne peut plus lire, car il « pleure de trop bon cœur » et « croit rêver. » Ce jour-là, s’il pouvait embrasser sa « chère maman, » serait le plus beau jour de sa vie. Mais il s’éveille bientôt de cette illusion séduisante : « Insensé que je suis, tu t’aveugles ; le bonheur est loin de toi !… » Un peu d’éloquence n’altère pas la sincérité de l’émoi ; et la simplicité, en littérature, est la suprême rouerie où réussissent les délicats.

Ces héros sont de bons enfans. Brusques, parfois. Et ainsi, le gendarme Paderno. Son frère a demandé de ses nouvelles et, pour lui écrire, son adresse : « Il se moque de moi ! Il croit que c’est comme lui qui est dans sa chambre à caresser sa femme. Triple bombe ! s’il a tant envie de m’écrire, il peut m’écrire quand il voudra au champ de bataille, au champ d’honneur, à Modane, près le Mont-Cenis : voilà mon adresse ! Et il peut prendre un fusil, et qu’il vienne, je lui donnerai du pain, et de l’ouvrage au fort de la Brunette… » Ah ! Paderno n’est pas commode. Mais, en général, ils sont la douceur même et recherchent, en écrivant, les formules de la plus gracieuse politesse : « Ma chère mère, je mets la main à la plume pour vous donner de mes nouvelles et pour en recevoir des vôtres… » Ils joignent à leurs mots d’affection mille cérémonies de déférence. Un peu pressés, ils mettent, pour finir : « Je suis, en attendant de vos nouvelles, votre fils ; » ou bien : « Je suis toujours votre fils ; » ou bien même : « Je suis pour la vie votre fils. » Ils aiment ces déclarations incontestables. Jamais ils ne cessent de penser à leur village. Ceux qui ne savent pas écrire s’adressent à l’obligeance d’un camarade plus lettré. Par exemple, au bivouac de l’avant-garde, en avant de Verchem, le 9 nivôse an II, c’est Joseph Rousseau qui tient la plume. Et il écrit à « son cher père et sa chère mère, » comme s’il ne s’agissait que de lui, raconte qu’il vient d’être nommé caporal et qu’il a juré de n’abandonner point son drapeau sans avoir chassé du sol républicain les satellites des despotes couronnés ; il raconte nos victoires. Et puis : « Je vais vous dire que nous sommes réunis en groupe pour écrire cette lettre ; tous du pays, nous assurons de notre respect nos pères et mères. Nous sommes : Chaumereau, fils du maréchal des logis de gendarmerie ; Crépin, Jousset, de Saint-Martin ; Thuilier, ci-devant de Saint-Martin. Tous vous font leurs complimens et vous prient de donner de leurs nouvelles à leurs parens en leur présentant leurs respects. Ils se portent bien. » L’une des souffrances que nos volontaires endurent le plus malaisément, c’est la lenteur avec laquelle leur parvient la